Quand on réunit Guy Ritchie et Jason Statham pour le remake du Convoyeur, on se doute bien que les deux lascars ne vont pas jouer sur le même terrain que Nicolas Boukhrief. Mais devant l'appréhension à voir le polar social se transformer en film d'action pétaradant, il y a quand même une pointe de curiosité. Ritchie sortait d'un beau The Gentlemen, qui le voyait retrouver la verve et la puissance de ses meilleurs films, alors qu'est-ce qui suivrait ? Confirmation ou re-plongeon ? Pour le réalisateur, je choisis la première réponse.
D'un point de vue stylistique, Un Homme en colère est peut-être le film le plus sobre du cinéaste anglais. Pas de montage frénétique, pas d'esbroufe à la caméra, pas de bande originale pop-rock, même pas de tchatche. Cette mise en retrait sera compensée par une réappropriation structurelle de l'intrigue, sur laquelle Ritchie plaquera son amour des récits enchâssés. Loin de trahir l'original, l'idée est plutôt d'en bousculer les fondamentaux. Le script joue avec les perspectives qu'il s'amuse à superposer jusqu'à ce que le tableau final prenne une tout autre signification. Plus âpre, moins aimable. Ne cherchez pas de héros, ici vous ne trouverez que des salauds. Si tous ne méritent pas de mourir, peu sont dignes de s'en sortir. En premier lieu, le personnage incarné par Jason Statham. Rarement le physique d'équarrisseur du comédien aura été utilisé à si bon escient, puisqu'il n'est plus seulement le (gros) bras vengeur mais surtout le principal motif d'inquiétude, et pas que pour ses adversaires. Par de simples procédés, en laissant le visage de Statham dans l'ombre ou derrière un masque par exemple, ne laissant deviner qu'une silhouette ou des bribes de sa figure, le personnage devient une abstraction des plus menaçantes (comme le suggère d'ailleurs le générique). En déplaçant l'empathie d'un personnage à un autre, ou d'un groupe à un autre jusqu'à cette explosion de violence finale impitoyable, Ritchie embrasse une noirceur qu'on ne lui connaissait pas. Par contre, il est toujours aussi bon pour s'entourer : Holt McCallany, Jeffrey Donovan, Josh Hartnett ou Eddie Marsan tranchent comme des rasoirs. Rayon bonne surprise, Scott Eastwood fait une jolie percée dans un rôle à contre-emploi.
Si tout cela donne corps et légitimité à ce remake, sa durée excessive et sa construction en mode Rashōmon (même récit à plusieurs voix) dilate un peu trop Un Homme en colère, qui augmente le nombre de protagonistes sans les travailler équitablement, notamment du côté des convoyeurs (à l'inverse de l'œuvre originelle). Paradoxe de l'affaire, son autre problème est de ne pas savoir transgresser le film de Nicolas Boukhrief quand il faut, tout spécialement dans la dernière partie. Même sans l'avoir vu, le rebondissement capital vous aura sauté aux yeux bien avant la dernière ligne droite. Pour Guy Ritchie réalisateur, c'est un essai transformé. C'est en revanche moins brillant pour Guy Ritchie scénariste (poste qu'il partage avec Ivan Atkinson et Marn Davies). Ni meilleur ni moins bon que Le Convoyeur, il tire autant parti de ses différences que de ses accointances bien que la réciproque s'applique également.