Histoire qu’on mette tout de suite les choses au clair : il ne sera pas question ici de cracher dans la soupe.
Oui, au regard de ce qui se fait en ce moment dans le genre, il est certain qu’ « Un homme en colère » a le mérite de sortir du lot par le haut.
C’est moins bougiste. Moins cacophonique. Plus construit. Plus maitrisé…
Aussi est-on clairement en droit de se dire que ce film sait faire le boulot.
C’est d’ailleurs ce que je me suis dit sitôt je suis sorti de la salle.
J’étais satisfait d’un spectacle qui, pendant deux heures, a su lorgner du côté des gros actionners des années 90, mais tout en restant un film de son temps.
Des gros mecs bien virils et bien épais.
De la testostérone et des pétards.
…Et le tout dans un monde de mercenaires sans scrupule : d’un côté ceux qui convoient le fric d’organisations plus ou moins légales, et de l’autre ceux qui entendent déjouer les règles et prendre leur part à grands coups de pétoires.
J’avoue que sur bien des aspects ce film m’a fait penser – dans son atmosphère de fond – au « 13 hours » de Michael Bay.
Pas de valeur. Pas de principe. Que des bonhommes qui ne sont là que pour le cash. Et à la fin, il ne restera que les vrais.
On pourrait même presque n’y voir qu’un pur délire vidéoludique à la croisée entre les battle royales et les tower defenses…
…Un banal exercice de style.
…Un pur plaisir de gosse nostalgique.
Et si cet « Homme en colère » est bien un peu de tout ça – ce qui n’est pas désagréable à contempler – j’avoue qu’en contrepartie je ne peux m’empêcher de nourrir une frustration.
Car c’est plutôt de ça dont il va être question ici.
Pas de cracher dans la convenable soupe ici offerte, mais plutôt grogner contre l’assaisonnement parfois approximatif et les épluchures qu’on peut régulièrement y retrouver.
Parce que l’air de rien, on ne parle pas de n’importe quel marmiton là.
On parle de Guy Ritchie. Un gars dont on sait ce qu’il est capable de faire.
…Mais un gars qui ne peut pas s’empêcher de surcharger la mule à chaque fois, juste histoire de se la péter un peu.
…Comme quoi il ne saura jamais s’en empêcher.
J’ai beau aimer quelques-uns de ses films – dont son dernier « The Gentlemen » – je trouve malgré tout que Guy Ritchie se laisse aller à une certaine démonstration.
Il faut qu’on voie ses effets.
Il faut qu’on sente qu’il ne fait pas comme les autres.
Il faut qu’on sache que c’est lui.
Le mec a beau avoir plus de cinquante ans qu’il continue encore de se comporter comme un gamin immature, et c’est usant parce que c’est ce qui surcharge clairement ses films au point d’en faire vaciller l’équilibre.
Or, là, dans cet « Homme en colère » des gamineries mal maitrisées, y’en a quand même quelques-unes, et les pires se retrouvent clairement dans l’écriture.
Parce que l’air de rien, quand bien même Ritchie nous offre-t-il ici du bon vieux film bourrin à l’ancienne qu’il n’a pas pu s’empêcher de découper son intrigue en plusieurs segments.
Après un premier segment tout ce qu’il y a de plus basique, voilà qu’on retourne en arrière, puis qu’on change de point de vue, puis qu’on retourne à la temporalité première, pour revivre au passage quelques moments déjà observés afin qu’on les perçoive d’un point de vue nouveau…
Mouairf.
Tout ça est quand même bien confus pour pas grand-chose.
Alors certes, je ne dis pas que ça ne présente pas quelques mérites…
Adopter le point de vue des braqueurs permet notamment de les humaniser et de nuancer quelque-peu le rapport binaire qu’on pourrait avoir face à cette opposition. Ça fait un peu « Heat » du pauvre, mais ça a au moins le mérite d’être là.
…Malgré tout c’est globalement très inégal et parfois clairement contre-productif.
Par exemple tout le second segment autour du passif de H en tant que grand parrain du crime qui a perdu son gentit’nenfant, c’est quand même vraiment de la merde. Ça enchaine les poncifs. C’est un prétexte à un enchainement de violence gratuite… Et le pire c’est que ça ne sert franchement pas à grand-chose. Ça casse le rythme pour vraiment très peu d’apport.
Et puisqu’on parle d’écriture parlons aussi des dialogues et des personnages.
J’entends qu’il y ait une dimension presque caricaturale assumée dans ce film, histoire notamment de rentrer dans les codes du genre.
Il n’empêche que ça reste quand même vide et creux. Presque triste.
D’un côté il y a le beau-gosse qui se la raconte un peu trop.
De l’autre il y a la grande nana bad-ass lécheuse de flingues à la Michele Rodriguez.
Et au milieu de tout ça on retrouve le vieux baroudeur, le gros dégueulasse qui cherche la merde, la vieux patron bonne-pâte…
…Que des archétypes vus et revus.
Et si la mobilisation de tels stéréotypes ne me dérange pas en soi – ça fait presque partie du charme de cet exercice de style – je déplore malgré tout que Ritchie en est fait quelque-chose d’aussi creux.
Le pire c’est qu’on sent pourtant une tentative de dialogues secs et incisifs et qui sentent le vrai. Mais n’est pas Shane Black ou Quentin Tarantino qui veut.
Et le problème est peut-être là.
Ritchie est quelqu’un qui sait faire le gros œuvre, mais qui galère sitôt il faut être fin et délicat. Et c’est peut-être pour cela qu’il sur-tartine ses films dans le fond et dans la forme, histoire de compenser des lacunes qu’il n’assume pas.
D’ailleurs ce style superfétatoire ne se ressent pas que dans l’écriture.
Tout le film sent ça. Et quiconque a déjà vu quelques métrages du bon Guy saura de quoi je parle.
On n’est pas dans la démesure d’un « Revolver » j’en conviens. Mais il y a toujours ce petit geste qui fait que ça reste trop.
La chose apparait particulièrement criante sitôt est-il question de filmer la violence.
Ritchie veut montrer qu’il est prêt à aller loin. Très loin.
Ainsi rompt-il avec une certaine aseptisation actuelle qui n’est certes pas pour déplaire – quitte d’ailleurs parfois à tuer froidement des personnages secondaires qu’il s’était pourtant évertué à faire survivre…
Ça fait partie des bonnes intentions du film. A ramener de la cruauté dans le sort des personnages, il réhabilite la violence inhérente à ce genre de combat. Boy Sweat a beau se relever d’un terrible coup de feu en pleine poitrine qu’il meure cruellement deux minutes plus tard, pris en traitre par Bullet. Même chose pour Dana qui n’aura même pas le droit à un instant pour sa mort. Elle meure en contrechamp, dans la foulée de la mort de Brad. Aucune considération. Aucune icônisation. Une violence brute que Ritchie a l’intelligence de réhabiliter dans un genre depuis trop édulcoré.
…Seulement tout le gain de ce dispositif est à chaque fois neutralisé par tout un ensemble de chichis formels dont Ritchie n’arrive pas à se défaire, faisant ainsi passer le style avant l’effet.
A ce petit jeu, l’usage de la musique est d’ailleurs assez problématique car, quand bien même Ritchie ne tombe pas dans le piège d’une omniprésence assassine, qu’il ne peut pas s’empêcher pour autant de la mobiliser là où des silences auraient été de meilleur aloi.
(…Et c’est dommage, parce qu’à l’image du film, dans son ensemble, elle est loin d’être hideuse cette partition de Christopher Benstead.)
Alors soit – c’est vrai – l’un dans l’autre les poids sont plutôt bien répartis dans la balance.
Le pire ne l’emporte pas sur le meilleur et – comme dit en introduction de cette critique – cela ne retire rien au fait que cet « Homme en colère » offre un spectacle qui est, au final, bien au-dessus de ce à quoi on nous a habitué ces derniers temps.
Mais d’un autre côté c’est quand même un peu triste que de se dire que le haut du panier se limite à ça.
A chaque scène qui se voulait marquante – notamment le braquage d’introduction ou le grand final – je me suis toujours retrouvé avec ce sentiment mitigé.
Un « moui c’est pas mal, c’est vrai que c’est mieux qu’un actionner lambda » mais toujours compensé dans mon esprit par un triste « bon, ça reste pas folichon non plus. Ça reste assez grossier et pas longuement pensé. »
M’enfin bon…
Faute de mieux, on s’en contentera.
De toute façon on n’a pas le choix.
Et il est peut-être d’ailleurs là le vrai problème.
…Plus que dans les démons de Ritchie, il est dans le fait que faute que Ritchie, on n’a plus grand-monde pour faire des contre-propositions.
L’air de rien, le temps de « Heat » parait bien loin en cette année 2021…