Je ne sais pas si c’est parce que j’ai regardé ce film sans rien en savoir, mis à part que François Cluzet figurait dans la distribution (ben oui, on ne peut l’ignorer puisque son nom est écrit en gros sur l’affiche), mais le fait est que je suis resté un peu dubitatif : je ne savais pas trop quoi en penser. Au point que je ne savais trop quelle note donner, comprise entre 2 et 4 (sur 5 bien entendu). Pourquoi ? Eh bien les questions qui m’ont inondé tout au long de "La mécanique de l’ombre" sont revenues plus en force à l’entame du générique de fin. Vous allez mieux comprendre dans ce qui suit. Pour commencer, nous découvrons François Cluzet en une sorte de secrétaire, clerc de notaire, un truc comme ça. Il se voit chargé de constituer un dossier pour le lendemain matin
(nous saurons plus tard qu’il travaillait pour un cabinet d’avocats)
. La routine, quoi. Sauf que d’emblée, une atmosphère particulière se met en place par la musique mécanique de Grégoire Auger, et par la pression de dingue que se met Duval (donc François Cluzet) pour constituer ce fameux dossier au grand complet. Mais qu’est-ce qui l’inquiète à ce point ? Son patron avait pourtant l’air si bienveillant puisqu’il lui avait apporté une tasse de café… Bon le synopsis l’explique par un burn-out. Je veux bien, alors soit ! Puis nous retrouvons ce personnage deux ans plus tard, désœuvré, sans boulot, dont l’emploi du temps se résume à une recherche d’emploi et aux réunions des alcooliques anonymes. S’est-il fait virer ? L’entreprise pour laquelle il travaillait a-t-elle mis la clé sous la porte ? On n’en sait rien, en tout cas ce n’est pas clair et il faudra attendre un peu pour savoir ce qu’il en est. Il a démissionné. Mais est-ce la vérité ? Des fois, la fierté nous pousse à mentir, histoire de faire genre. Et c’est justement le cas de Duval : il fait genre que tout va bien, comme beaucoup de monde le ferait à sa place. Tout cela pour dire qu’on vient à douter de tout, y compris du champ de compétences du nouvel employeur de Duval, qui vient le chercher de façon peu académique. Excusez-moi, mais la prise de contact avec ce nouvel employeur a de quoi interpeller. La nature du travail, les questions posées
(notamment à propos de l’éventuelle appartenance politique)
, les nombreuses consignes ont de quoi mettre la puce à l'oreille. J’avais même envie de dire à Duval de ne pas accepter ce job. Mais quand on est aux abois financièrement et qu’on se voit proposer un salaire mirobolant pour un simple travail de retranscription, il est difficile de refuser l’offre, surtout quand on a atteint un âge délicat pour réintégrer le monde du travail. Seulement une question persiste : qui est ce monsieur Clément (Denis Podalydès) ? Est-il vraiment le grand patron de cette mystérieuse entreprise ou travaille-t-il pour lui-même ou pour quelqu’un d’autre ? Dans ce cas, pour qui ? Mystère… En somme, le spectateur est mis quasiment au même niveau que le personnage principal, à savoir Duval. De ce point de vue-là, c’est remarquable. Car quoique le spectateur puisse en dire, il est accroché, prêtant sa plus grande attention dans les informations sorties des bandes magnétiques dévoilées dans un appartement impersonnel parce que presque vide, comme si ce bien immobilier était prêt à être vendu. On sait assez rapidement que Duval a mis les doigts là où il ne fallait pas : un engrenage prêt à vous broyer menu. Un inquiétant engrenage qui sera ensuite personnifié par l’intermédiaire de Gerfaut (Simon Abkarian), un être pas gêné pour deux sous, et qui va inspirer chez le spectateur de l’inquiétude vis-à-vis de Duval.
Une inquiétude qui va monter de plusieurs crans d’un seul coup dans la voiture, au beau milieu de la nuit parisienne.
Gerfaut incarne aussi la descente aux enfers de Duval, et marque par la même occasion le tournant du film. Divers partis apparaissent, et on ne sait pas trop bien qui est qui. On comprend que Duval est plongé au cœur d’un complot politique. Mais on vient à douter de tout le monde, jusqu’aux flics ! La prestance monolithique de Labarthe (Sami Bouajila) y est pour beaucoup. En somme, on doute de tout et de tout le monde, sauf de Duval. L’atmosphère est anxiogène à souhait, limite étouffante. Paradoxalement, on n’a pas du tout envie de lâcher le morceau tant qu’on n’a pas le fin mot de l’histoire. La faute à une forte empathie pour Duval. On souhaite vraiment de le voir se sortir de ce mauvais pas, mais on ne voit pas comment. Et puis le final, qui part en cacahuète (pas dans le sens incohérence). Et les questions demeurent. Qui est qui ? Ces gens sont-ils vraiment ce qu’ils disent être ? Qui fait vraiment quoi ? Toutes ces questions demeurent, ce qui peut pousser à donner une note très moyenne. Seulement, "La mécanique de l’ombre" est un long métrage auquel il faut laisser le charme agir. Au fil des heures qui s’écoulent après le visionnage, les pièces du puzzle se mettent en place, à l’image de celui que Duval réalise patiemment sur la table de sa cuisine. Auquel cas une curieuse constatation s’impose comme une intime évidence : si les différentes personnes sont vraiment ce qu’elles disent être, on notera un manque de corrélation entre les services de renseignements et de police. Quoiqu’il en soit, François Cluzet est encore une fois parfait. Je trouve que cet acteur continue à se bonifier avec l’âge. Ici, il retranscrit à merveille l’esprit tourmenté de son personnage. Et en cela il signe une nouvelle performance. Pas suffisant toutefois pour que le premier long métrage de Thomas Kruithof emporte l’adhésion totale de tout un public pour toutes les raisons évoquées plus haut, et ce en dépit d’une réalisation paranoïde, accessoirement hypnotique sur les enregistrements torturés par les nombreux « play », « pause », « review », des enregistrements judicieusement montrés en gros plans. On appréciera aussi l’esthétique de certaines images, comme les ombres très marquées lors de l’arrivée au rendez-vous fixé dans ce stade. Une première œuvre donc très encourageante pour Thomas Kruithof, mais très difficile à noter.