Deux ans après sympathique le "Yves Saint Laurent", Jalil Lespert se lance pour sa quatrième réalisation dans une entreprise aussi surprenante qu’inattendue : un polar sensuel et vénéneux en adaptant librement le film "Chaos" du réalisateur japonais Hideo Nakata. Je dis librement parce qu’au final, les deux films n’ont plus grand-chose à voir l’un avec l’autre, et les comparer ne serait vraiment pas une idée judicieuse. Respectant scrupuleusement les codes d’un thriller classique, Lespert réunit une jolie brochette de personnages troubles
(une femme fatale énigmatique, un gars à la vie laborieuse dépassé par les événements, un personnage riche et manipulateur, des policiers déterminés mais peu orthodoxes
) au sein d’une sombre histoire malsaine dont les éléments, tels les morceaux d’un puzzle éparpillés, nous sont livrés par bribes et nous permettent d’être tenu en haleine en essayant de recoller les pièces les unes aux autres. En effet, avec une narration si déstructurée, il vaut mieux être attentif pour ne pas se perdre dans ce sombre labyrinthe. Sombre est bien le mot puisque l’enquête nous plongera dans l’univers si particuliers du sado-masochisme et des mystérieuses soirées privées qui en résulte. Mais nulle question de sombrer dans le vulgaire racoleur comme le font si souvent les péloches US, Lespert parvient ici à ne jamais tomber dans le piège du voyeurisme gratuit avec lequel flirtent souvent les films érotisants : jamais il n’y a une once de mauvais goût dans le but d’exciter le spectateur. Il filme un univers sombre et froid où les corps et le désir ne sont que les catalyseurs d’un voyage sensuel, sensoriel et très intime dans lequel les personnages sont mis à nu de manière totale, allant à la rencontre de leurs pulsions les plus secrètes
(perversion, besoin de domination, soif de pouvoir, manipulation
). Et la mise en scène contribue énormément à se laisser porter par ce voyage : les plans sont strictement cadrés avec peu de mouvements, Paris est totalement méconnaissable bien loin de sa réputation de ville lumineuse, beaucoup de jeux de lumière clair/obscur, une photographie léchée ou se succèdent des lieux à l’ambiance tantôt chaleureuse tantôt glaciale tout comme les deux faces de la luxure. Non il n’y a rien à redire sur la mise en scène si ce n’est qu’elle est très soignée et propose une esthétique percutante vis-à-vis du récit. Au milieu de ce suspense machiavélique, on retrouve un Romain Duris en mode « brut de décoffrage », bien éloigné des rôles d'amoureux romantiques et maladroits qui jonchent sa carrière, retranscrivant parfaitement l’humanité de son pauvre personnage pris au piège qui cherche à ne pas se laisser écraser par cette situation cauchemardesque. Jalil Lespert incarne lui-même le rôle du mari trouble qu’il maîtrise avec aisance et Camille Cottin nous surprend très agréablement en policière acharnée. Quand à la fameuse Iris, Lespert fait à nouveau appel à la charmante Charlotte Le Bon dont le teint pâle, la stature, l’aisance charnelle et la silhouette longiligne sont idéaux pour incarner la fameuse séductrice troublante dont le charisme magnétique suffit à susciter le désir à n’importe quel homme : un rôle qui lui va comme un gant…de cuir ! Je dois avouer que ça faisait longtemps que je n’avais pas éprouver une tel empathie pour des personnages si complexes et torturés. Malgré quelques faiblesses, "Iris" est un thriller vénéneux au suspense prenant et à l'ambiance poisseuse où se mêlent sensualité, sentiments amoureux, angoisse, peur, obsessions charnelles et mort : un joli mix au sein d’un scénario tordu à souhait mais qui se laisse agréablement regarder grâce à ses nombreux rebondissements et à son casting judicieusement choisi. Comme quoi la France est encore capable de faire de bons films.