L'idée n'est pas nouvelle : un groupe de personnages aux caractères forts et antinomiques se retrouvent tous coincés dans une situation complexe qu'ils ne pourront souvent solutionner qu'en s'entraidant, malgré les tensions montantes. Ce postulat, parfait pour les pièces de théâtre car obligeant le huis-clos, se retrouve également assez souvent illustré à l'écran. Exemple du jour : *El Bar*, qui enferme une galerie de protagonistes au sein d'un café (à l'évidence, le titre aurait été moins justifié s'il s'était s'agit d'une station-service) après qu'un client se soit fait abattre d'une balle dans la tête à la sortie de l'établissement. Ressortiront de cet événement d'inévitables confrontations, à partir desquelles le long-métrage propose, comme tant d'autres œuvres choisissant la même thématique, une observation sur la condition humaine.
Le film commence donc par nous exposer à un mystère : pourquoi donc cet homme a-t-il été assassiné sur le seuil de la devanture ? Qui est le tireur ? Pourquoi les communications sont-elles bloquées ? La première partie du long-métrage est donc assez délicieusement intrigante, le spectateur se retrouve plongé dans le même état de confusion que les prisonniers du bar et s'intéresse avec eux aux différentes pistes possibles. Malheureusement, l'énigme est résolue après 25/30 minutes par une solution assez facile car étant trop prévisible et invoquant un élément scénaristique déjà vu dans beaucoup d’œuvres de fiction. On sera donc quelque donc un peu déçu que le film ait fait durer l'attente pour une résolution que l'on pourrait qualifier de simpliste. Dans l'ensemble cependant, la trame du scénario concocté par Jorge Guerricaechevarría et Álex de la Iglesia (qui endosse également la casquette de réalisateur) est de bonne facture, ne proposant certes rien de révolutionnaire mais tenant bien en haleine l'audience, en mettant généralement les personnages dans des situations mortelles à priori inextricables.
Cependant, comme dit dans l'introduction, le cœur du long métrage ne réside pas dans son intrigue globale mais bien dans ses protagonistes, incarnés par une galerie d'acteurs assez crédibles et toujours dans le ton. Nous sommes donc présentés à une bande d'individus venant presque tous d'environnements différents et possédant chacun une personnalité spécifique identifiable au premier coup d’œil. C'est d'ailleurs là un point faible du film, en ce que plusieurs de ses "héros" ne se détachent jamais de leur archétype et agissent conformément à l'image qu'ils dégagent
(le personnage supposément fou et un peu dangereux s'avère être complètement fou et dangereux, le barman sympathique est le plus altruiste du lot,...)
. Cependant, d'autres protagonistes ne sont pas affectés par ce problème, en se révélant plus extrême par leurs réactions inattendues (je pense spécialement à Nacho, mais également pour une séquence à Trini, la femme addicte aux jeux).
Le long-métrage est particulièrement efficace lorsqu'il pointe le plus gros vice, à son sens, de la race humaine, à savoir l'égoïsme. Toutes les personnes présentes dans le bar font preuve de ce défaut, à un degré divers : ceci est très bien mis en avant par le joli plan séquence d'introduction, où tous les passants se croisent et sont totalement absorbés par leur propre vie et leur conversation téléphonique, ainsi que par la scène où chacun des exilés dans le sous-sol revient sur ses problèmes personnels sans jamais prendre en compte ce que racontent ses camarades d'infortune, créant un ensemble de monologues plutôt qu'un grand dialogue. C'est également l'égocentrisme qui va mettre en mouvement le récit,
le comportement nombriliste des personnages créant une série de catastrophes (l'impossibilité de contacter une source extérieure suite à une dispute entre Nacho et Sátur), et les amène quelque fois même à leur perte (la tenancière et les deux hommes, ayant chassé les autres protagonistes, seront de ce fait les premiers exécutés)
.
Toutefois, les deux scénaristes nous montrent que, même si l'égoïsme fait partie intégrante de la nature humaine, la bonté et l'altruisme peuvent également par moment prendre le dessus
(ce contraste est illustré dans la scène finale, où une passante donne son manteau à l'héroïne tandis que d'autres l'évitent avec dégoût ou désintérêt). Deux personnages trouveront ainsi la rédemption dans un ultime geste de générosité, permettant de sauver une ou plusieurs vies tandis qu'Elena, voulant survivre sans pour autant perdre son humanité, sera finalement la seule rescapée. A noter cependant que la mort de Sátur fait tâche dans cette optique et cette lecture du récit, car le serveur étant en perspective assez bienveillant par rapport aux individus l'entourant et son décès n'apporte aucun contenu au message du film (reste que cet assassinat brutal prendra le spectateur par surprise).
*El Bar* est donc une oeuvre se concentrant assez efficacement sur son message amer mais teinté d'un soupçon d'espoir sur le caractère de l'humanité, nous proposant une assez bonne intrigue même si empreinte de quelques défauts. Nul doute cependant qu'après visionnage de ce film, chacun voudra se débarrasser de ses traits les plus égocentriques !