Malgré un troisième opus en perte de vitesse, assister aux coups orchestrés par Danny Ocean et sa bande de potes sous la houlette de Steven Soderbergh revenait invariablement à siroter une coupe d'un délicieux champagne : léger, frais, pétillant, toujours un sourire au coin des lèvres accompagnant la dégustation et même suffisamment d'ivresse in fine pour que l'on demande à ce qu'on nous serve un autre verre. À titre de comparaison, le visionnage de "Ocean's 8" reviendrait, lui, à boire une coupette de mauvais mousseux essayant de se faire passer pour une grande marque : les sourires seraient aussi rares que forcés pour cacher notre grimace et l'ivresse ne dissimulerait pas la sérieuse gueule de bois qui nous couperait l'envie d'y goûter à nouveau.
Même si on regarde le procédé d'un oeil perplexe, rebooter une franchise en féminisant son casting n'est pas une si mauvaise idée en soi, ça peut être l'occasion d'y apporter un second souffle, bousculer les archaïsmes à dominante masculine ancrés dans une certaine idée du cinéma hollywoodien et être accompagné de nouvelles pistes susceptibles d'amener une saga dans des directions inédites... Bref, si ce n'est pas totalement opportuniste pour surfer sur un changement actuel d'ère des rapports hommes/femmes dans l'industrie cinématographique, la donne peut-être une variation intéressante. Mais si remplacer des acteurs par des actrices est le seul argument du produit final, juste... à quoi bon ? Car c'est justement le cas de ce "Ocean's 8" qui, hormis son casting féminin, n'a absolument rien d'autre à proposer de neuf sinon une photocopie des aventures de leurs équivalents masculins... en moins bien.
Bon, là, la faute en revient principalement à Gary Ross essayant de singer en permanence les mimiques d'un Steven Soderbergh dont il ne possède pas une rognure d'ongle du talent et d'un scénario reprenant exactement étape par étape le même schéma de film de braquage du premier épisode de la trilogie masculine, la qualité et la décontraction fun en moins. C'est bien simple la partie du recrutement de l'équipe et celle des préparatifs n'inspirent que de l'ennui, les présentations avec chaque braqueuse hyper-stéréotypée donnent l'impression d'être totalement survolées, tant et si bien qu'à part celles incarnées par le trio Bullock/Blanchett/Bonham Carter, les autres n'ont simplement pas le tant d'exister (Dieu sait qu'on adore Mindy Kaling et Sarah Paulson mais si on ne leur donne quasiment rien à jouer, quel intérêt ? Quant à Rihanna, hormis sa savoureuse réplique sur son nom, la pauvre n'a pas non plus grand chose à se mettre sous la dent pour prouver ses talents d'actrices), seule Anne Hathaway arrache quelques sourires en s'amusant à jouer les divas superficielles. Soyons honnêtes, les films antérieurs mettaient eux aussi les plus grandes stars comme Clooney, Pitt ou Damon en avant mais les membres secondaires de la bande avaient des traits de caractère suffisamment marquants et des scènes fortes pour jouer leurs propres partitions au sein du groupe de braqueurs. Dans "Ocean's 8", ce ne sera jamais le cas et la façon mécanique dont s'enchainent les péripéties jusqu'au fameux vol (Ross formate complètement la "Soderbergh touch") ne parvient à nous faire croire ni aux individualités ni au collectif de ces braqueuses.
En réalité, il faudra attendre le casse proprement dit pour que "Ocean's 8" devienne enfin vraiment divertissant et que ses personnages gagnent en relief par la même occasion. Ce sera LE grand moment du film où, pour reprendre la métaphore alcoolisée des débuts, l'ivresse nous gagnera enfin. Ce ne sera pas réalisé sans défauts (toutes ces caméos luxueuses qui ne serviront absolument à rien sinon à gonfler artificiellement la valeur de ce qu'on nous présente) mais les huit voleuses trouveront là un moyen de s'exprimer à l'unisson tout en mettant leurs capacités propres à exécution et on commencera à réellement s'amuser à les voir passer à l'acte.
Du moins, jusqu'à ce que la mécanique trop bien huilée reprenne ses droits pour sombrer dans une inévitable série de twists finaux qui, s'ils surprenaient toujours chez Soderbergh (et ce, même si on devinait leur présence) donnent, ici, l'impression d'un passage obligatoire que Ross fait patiner dans le vide à ne plus savoir quoi produire comme rebondissements.
Au final, on aurait aimé au moins autant adorer ces braqueuses que leurs collègues masculins, vraiment, mais, lorsque le plus grand suspense du film devient de savoir si une ride va miraculeusement apparaître sur le visage tout lisse de Sandra Bullock, il devient clair que Gary Ross a loupé le coche en de nombreux points. Même notre admiration pour toutes ces actrices d'habitude géniales ne parvient pas à pallier les dégâts, c'est dire l'étendue du problème...