Monsieur & Madame Adelman est tellement écrit que l’on hésitera à moitié à parler de roman. Un roman illustré, 24 illustrations par seconde si l’on veut, mais avant tout un bon bouquin avec sa structure chapitrée et un amour du récit papier.
C’est peut-être ça qui m’a conduit à aller le voir, ça et le fait que j’étais physiquement en danger si j’amenais L. voir Kong. Pourtant une comédie française où des sorbonnards en trench beige se prennent le bec dès la bande-annonce qui semble exclusivement se passer dans ce zoo aux egos qu’on appelle le Paris rive gauche où parler Proust en slibard blanc sale à sa maitresse pour lui faire oublier qu’on est pas Brad Pitt semble être le comble de l’intelligence, c’est un genre d’histoire qui me donne très envie de tester le triple salto défénestré amorti trottoir. Pourtant le cynisme, la poésie mordante des dialogues, la traversée de 45 ans au pays de la CSG, la tendresse pour ces deux névrosés et la réflexion rare sur la création artistique laissant nos protagonistes profiter de leurs vies à la troisième personne par l’obsession qu’ils ont à la coucher sur papier ensuite m’ont fait regretter ses petites 2h de récit. Comme un bon roman qui ferait 120 pages là où il en aurait mérité 400. Une scène de la vie conjugale à la Bergman bis avec son format monstre de 5h ne m’aurait pas spécialement dérangé, mais ça c’est aussi parce qu’une comédie française sur la vie de couple qui ne m’énerve pas profondément est une chose rare.
Monsieur & Madame Adelman est donc jouissif. C’est tout ce qui est dit plus haut sur les clichés parigocentrés et plus encore mais la fibre romanesque animant ce couple, lui écrivain torturé par le fait qu’il n’a rien de torturé et elle thésarde en lettre avec du chien, hameçonne en trois gros plans. On commence par l’enterrement de monsieur, célébré, tout beau sur la photo en académicien au-dessus de la boîte en sapin, si Bedos nous balance la fin dès le début c’est que l’intérêt n’est pas là. Madame se confie alors à un journaliste pour donner sa version de leurs 45 ans de vie commune, on accroche nos ceintures et on lève la tête parce que c’est du bon.
Les critiques maintenant, il en faut je suppose. A force de vouloir mouliner, acidifier, noyer dans la gnole pour être bouffé sous un torchon la vie à moitié autobiographique de ce couple d’étudiant de gauche s’embourgeoisant malgré eux, on se tape quand même quelques accrocs : détourner des poncifs (maman alcoolique, famille juive, grand frère de droite, enfants à problèmes, soirée mondaine un peu fausse, et d’autres) c’est bien, mais parfois on oublie la plus-value caustique et on se retrouve juste avec des scènes déjà vues sans valeur ajoutée. On ajoute la narration qui triche pas mal avec les spectateurs : puisque Madame raconte chronologiquement sa vie conjugale après la mort de monsieur, on s’attendrait à n’avoir que le point de vue de Doria Tillier. Perdu on assiste à des scènes où elle n’était pas là comme les truculentes séances de psychanalyse de monsieur, du coup on se dit qu’on voit simplement une illustration de la réalité autour de ses paroles, comme si le réalisateur montrait ce qu’il voulait bien montrer du récit raconté par sa protagoniste. Perdu aussi. Ça ne me gêne pas spécialement de me sentir floué parce que ça passe, principalement, mais de la part d’un récit où ses personnages chipotent sans arrêt sur l’écriture et la narration, ça commence à ressembler à de l’ironie.
Le montage m’a un poil chagriné, déjà que je trouvais que le pitch ressemble beaucoup à l’amour dure trois ans de Beigbeder (un écrivain intello parisien frustré rencontre sa muse en une grande miss météo canal , s’ensuit des vacances en Bretagne), prendre Anny Danché, souvent complice de Jan Kounen (99 francs pour la référence intéressante ici), a un peu accéléré certains passages qui auraient mérité de respirer un peu plus. L’écriture de Bedos, dans la catégorie des acerbes aussi, s’illustre quand même dans des élans mélodramatiques moins bien adaptés à la réalisation choisie que les parties purement comiques. Rien de choquant mais un petit détail qui ressort sur une pellicule d’aussi bonne qualité.
Enfin son ton jaunâtre, légèrement sépia et granuleux typique de 99% des films français se passant dans un Paris de carte postale un brin passéiste, m’a ici plu comme une odeur attachée aux pages d’un vieux livre. Là c’est subjectif, c’est sûr, et si vous avez envie de vous époumoner à dire que ça ressemble à Amélie Poulain, libre à vous, j’ai des fenêtres bien insonorisées.
Parler du nez au milieu de la figure maintenant : le premier film de Nicolas Bedos, écrit, joué, réalisé, mis en musique aussi, avec sa compagne Doria Tillier toucherait-il au biographique ? Ou plutôt dans une fiction mettant en scène leurs doubles, les Adelman plus névrosés et fantasmés, dont les acteurs s’amusaient déjà à improviser les joutes verbales au quotidien avant l’écriture du film. Pourtant pas de délire à la Rock’n Roll (je me le suis épargné donc cette supposition est peut-être fausse mais je préfère être repris qu’aller le voir) noyé dans l’autofiction mais une belle écriture d’un monde connu de ses interprètes.
Voilà pourquoi le film m’a plu, ce n’est pas Paris qui regarde son nombril boulevard Saint-Michel mais un récit où l’on retient quelque chose sur une longue vie de couple. Les hauts et les bas de deux caractères bien trempés soulignés par une plume inspirée.