Réalisateur de courts métrages et de documentaires, Eric Cherrière a également écrit deux romans noirs. Via Cruel, son premier long métrage, le metteur en scène a voulu filmer quelque chose traduisant cette idée qu'une fois sorti de l'enfance, le bonheur véritable est toujours derrière nous. C'est entre autres pour cette raison qu'il voit Cruel comme un film noir.
Éric Cherrière souhaitait que le tueur de Cruel ne soit pas quelqu'un qui ait une "raison" objective de tuer comme c'est le cas dans la plupart des films centrés sur des tueurs en série. Le metteur en scène a ainsi cherché à ne livrer aucune explication à la violence de cet homme pour laisser libre cours à l'imagination du spectateur.
"Il n'a pas été abusé dans son enfance. Les meurtres ne lui apportent aucune gratification sexuelle. Ce n'est pas un révolutionnaire ou un asocial. Lui-même ne sait pas pourquoi il agit ainsi. Ses victimes sont des individus normaux. Des gens ordinaires dans des vies ordinaires."
Le film se déroule à Toulouse, une ville peu montrée au cinéma. Dans le but de représenter l'état d'esprit du tueur, Éric Cherrière a plus précisément filmé dans un quartier périphérique proche de la gare qui ne va pas tarder à être détruit.
"J'ai utilisé la voie ferrée qui traverse ce quartier comme une frontière entre l'univers du tueur et celui des autres humains. Lorsqu'il traverse la passerelle au-dessus des rails, il va dans la société, soit pour travailler, soit pour repérer ses victimes. D'un côté il y a le monde des hommes et de l'autre, il y a celui, intérieur, du tueur", précise le cinéaste.
Éric Cherrière n'a pas souhaité que Cruel soit gore. D'abord parce qu'il est parti du constat selon lequel le gore n'est plus aussi subversif qu'avant mais également parce que l'irruption de violence physique est souvent libératrice au cinéma. Or, le réalisateur ne voulait pas que le spectateur soit libéré à la vision de son film... "Cela me permet de créer un univers insolite à l'atmosphère singulière, de suivre un long fleuve de désespoir que rien ne vient perturber", confie-t-il.
Passionné par les comédiens des années 1960/1970, Eric Cherrière a voulu que Hans Meyer (le colonel distingué de La Grande vadrouille, etc.), Yves Afonso (Maine Océan, les films de Jean-François Stévenin, etc.) et Maurice Poli (star de la série B italienne des années 1960) soient à l'affiche de Cruel. "Il y en a qui font des films pour gagner de l'argent ou coucher avec des actrices, moi c'est pour aller dîner au restaurant avec de vieux comédiens", s'amuse-t-il.
Le metteur en scène Éric Cherrière avait plusieurs repères au moment de la conception de son film : l'errance existentielle de Travis dans Taxi Driver, la rage glacée d'Henry, portrait d'un serial killer et la France de Gaspar Noé dans Seul contre tous. Mais c'est surtout le dialogue de William Holden dans La Horde sauvage qui est au centre de Cruel comme il l'explique : "On voudrait tous redevenir des enfants, même es pires d'entre nous... Surtout les pires d'entre nous. C'est vraiment là qu'est né ce personnage de tueur en série mélancolique et enragé poursuivi par l'enfant qu'il a été."