Je craignais Moonlight. Après les critiques l’année dernière d’une compétition des oscars plus blancs que blancs, il manquait comme l’appelle son réalisateur Barry Jenkins « un -modéré- de film de noir ». Le rôle semblait taillé pour Birth of a nation, malheureusement pas à la hauteur des espoirs qui étaient placé sur lui sans parler des casseroles de son réalisateur freinant net l’appétit de statuettes au royaume du politiquement correct, Moonlight est-il un simple remplaçant ? Heureusement, on peut poser un bon gros non sur la table.
Je craignais Moonlight car je n’aime pas l’idée qu’un film soit considéré comme bon sur un message a priori progressiste plutôt que sur ses qualités cinématographiques propres, sans compter qu’ayant été retourné par La La Land, son concurrent direct aux oscars m’était automatiquement antipathique (8 nominations dont meilleur film et meilleur réal, rien que ça). C’est au bout d’un petit quart d’heure de projection que j’ai compris mon erreur, Moonlight se trouve lui aussi bien au-dessus du lot.
On va suivre tour à tour Little, Chiron et Black, une seule personne à trois étapes de sa vie pour mieux saisir le passage de l’enfance à l’âge adulte d’un noir homosexuel dans une banlieue qui a tout de la jungle urbaine et où exprimer sa sexualité équivaudrait à une condamnation à mort. On pourrait s’attendre à un pathos grandiose à la Brokeback Mountain ou à La vie d’Adèle, on aboutit au contraire à une merveille d’épure d’une pudeur et d’une intelligence rare. Peu verbeux, l’anti-récit d’apprentissage de ce jeune homme qui se trouve en niant ce qu’il est tient bien plus d’un Wong Kar-Wai avec des palmiers que d’un film de blacksploitation énervé.
Liberty City rongée par les dealers sert de terreau à une violence morale douloureuse. Loin de se laisser aller à un misérabilisme facile, le film passe par une approche quasi-onirique pour présenter ce monde avec une image cotonneuse, aux couleurs rarement vives dans des éclairages doux, même ses rouges sanguins dans ce qui va être pour le héros un réservoir à trauma ont l’intelligence de troquer les cris pour un silence lourd de sens. Ça n’amoindrit en rien la dureté du propos mais lui donne au contraire un point de vue inédit, une façon bien plus personnelle et percutante de nous faire rentrer en communion avec le quotidien de son héros aux différents âges de sa vie en refusant la facile caméra à l’épaule absente ici. Moonlight est à la fois un film de cinéma avec tout ce que cet art a de majeur et un film indépendant avec ce que ça implique de refus des codes pour livrer une proposition aussi personnelle que brillante.
Brillant n’est pas le bon mot, au contraire le bling-bling, colliers, bagues, jusqu’aux dents des protagonistes s’oublient derrière le traitement tout en finesse de l’histoire très ancrée dans une réalité misérable, Barry Jenkins va donner une véritable noblesse au parcours de Chiron. S’il écoute du gros rap west-coast bien bourrin, le film s’illustre par un morceau de violon bien plus raccord avec le calme mutique dans lequel se mure son héros. Un trio joue le même homme, pas spécialement ressemblant entre eux, c’est par la direction d’acteurs que l’on se surprend à reconnaître une sensibilité commune au cours des trois parties tellement liées entre elle que l’on ne peut envisager Moonlight en séparant les segments qui le composent. Semblable à Julieta où Almodovar lie l’adaptation trois nouvelles distinctes à la vie de son héroïne.
Un dernier élément, pas forcément nécessaire pour appréhender Moonlight mais troublant face au résultat, est qu’il est l’adaptation d’une pièce de théâtre d’un auteur contemporain, Tarell Alvin McCraney, born and raise à Miami à quelques blocs de Barry Jenkins, le réalisateur. Comme Chiron, ils ont grandi avec des mères toxicomanes, ils ont fréquenté les mêmes lieux et sont devenus artistes pour mieux parler de leurs racines. C’est peut-être la principale force de Moonlight, ce n’est pas simplement la belle représentation d’une histoire somme toute assez moche, mais la reproduction sur pellicule de pensées et sensations portées par ses créateurs.