De l'évolution d'une vie difficile, du passage de statut d'enfant en quête de reconnaissance à un statut d'adulte en quête d'accomplissement. *Moonlight* est ce genre de bijou mettant en scène l'évolution en se penchant sincèrement sur ses personnages, à l'image d'un *Boyhood*. Nous entrons dans cette communauté noire par petits pas et nous nous laissons guider par un scénario plus que malin, avant de ressortir ébouriffés par une telle puissance, par un message si bien porté, si bien transmis, sans qu'un seul cliché ne vienne perturber cette expérience.
Nous suivons l'histoire de Chiron à trois périodes de sa vie, l'enfance, l'adolescence, l'âge de jeune adulte. Les ellipses sont donc assez longues et sont très bien gérées par un montage qui ne nous perd pas en route. Ce qui est intéressant avec les ellipses, c'est de voir que le film n'a pas ce rôle de raconter les changements du personnage, c'est comme un jeu de piste et c'est à nous d'apercevoir ces détails fleurissants qui montrent l'évolution du caractère du personnage, celui-ci pouvant changer au gré des événements. Et on ne pourra rien reprocher à la façon dont Barry Jenkins, à la fois scénariste et réalisateur, fait évoluer son protagoniste, reflétant parfaitement sa personnalité et son caractère premiers qui ne disparaissent pas au fil du temps, un homme fragile ne perdant pas cette fragilité même s'il s'endurcit. Que dire également de cette réalisation qui relève du génie, absolument magnifique, dynamique, virevoltante et sublimée par une photographie léchée, émotionnelle et sensuelle qui met en images des scènes tantôt crues, tantôt à couper le souffle, comme celle de la mer dans le premier tiers du film, et qui laissent toutes un choc impérissable et inoubliable, de même que cette musique d'un compositeur qui monte, Nicholas Britell, étrangement de la même verve que la bande originale de *Nocturnal Animals*, oubliée aux Oscars au profit de la monstruosité du travail de Mica Levi dans *Jackie*, sans doute grâce au son de ces violons dont les cordes laissent échapper leurs notes pour qu'elles puissent capter les émotions.
Et au-delà des émotions, *Moonlight* permet aux sentiments de triompher, parfois avec des mots, parfois avec des silences, ces fameux moments silencieux qui font toute la force du film et à travers eux, nous pouvons à la fois déduire toute la détresse du personnage principal, tous ses sentiments, et alors que les préjugés se matérialisent le plus souvent par la violence, les sentiments, eux, prennent naissance et se développent dans les moments calmes du long-métrage car oui, *Moonlight* est un drame âpre mais qui se déroule sur un rythme lent et posé, sensible. Aussi sensible est le casting du film, porté par les trois acteurs jouant Chiron à la perfection. C'est par ailleurs l'un des autres points forts du film car ces trois acteurs ne se rencontrent jamais et pourtant, l'alchimie est incroyable pour représenter à trois un seul caractère aussi complexe. N'oublions pas non plus Mahershala Ali et Naomie Harris, tous deux nommés aux Oscars (Ali devrait normalement gagner). La relation entre Alex R. Hibbert, qui joue Chiron petit, et Mahershala Ali, qui joue Juan, se démarque car ce premier est le fils que Juan n'a jamais eu et dont il veut s'occuper lorsqu'il voit la mère de Chiron, interprétée par Harris, engluée dans ses problèmes de drogue. Et dans l'autre sens, Ali est le père que Chiron n'a jamais eu et Teresa, jouée par Janelle Monae, est cette mère qui ne lui a jamais apporté d'amour.
*Moonlight* est une merveille tant par son scénario que par sa technique irréprochable. C'est un film que l'on n'oublie pas de suite, qui choque, dans le bon sens du terme, et qui permet de croire encore en cette once d'humanité, au fait que l'on puisse encore choisir ce que l'on est à défaut de pouvoir choisir ce que l'on devient. C'est donc bien le triomphe de l'amour dans toutes ses formes sur des préjugés qui n'amènent que haine et mépris. Barry Jenkins n'a que 37 ans, comme Damien Chazelle n'en a que 32, preuve que la jeunesse réalisatrice prend petit à petit la mesure de ce que le cinéma attend d'elle, preuve aussi que le cinéma a de belles années devant lui. Avec des films comme *Manchester by the Sea* et *Moonlight*, c'est également le triomphe du silence, celui qui installe une ambiance, une atmosphère particulière. Le silence offre aux sentiments le devant de la scène, il leur offre le meilleur moyen de s'exprimer. Et le spectateur accepte ce silence comme gage de réponse et rentre alors dans cette communauté que l'on croyait si fermée au départ. Oui, le spectateur s'identifie ainsi aux personnages et le film peut s'ouvrir à tous, acteur universel d'une humanité qu'il a su défendre avec brio.