Ah, le pinard ! Il n’y a qu’en France que l’on peut construire des films quasiment intégralement sur le seul sujet du vin ! Quand on lit le pitch de « Ce qui nous lie » (joli titre, au passage), on pense d’emblée au film de Gilles Legrand « Tu seras mon fils », qui évoquait peu ou prou le même sujet, en le situant dans le Bordelais. Mais la comparaison n’est pas pertinente. Le film de Gilles Legrand était lourd, versait dans le drame psychologique alors que le film de Cédric Klapisch est beaucoup plus léger. Pour reprendre la comparaison avec le vin, le cru Klapisch est plus agréable en bouche et moins complexe que le cru Legrand, un bon Bourgogne bien charpenté face à un Bordeaux plus ambitieux, ou plus prétentieux, ça dépend de quel point de vue on se place. Klapisch, qui n’est pas le premier venu, filme avec une tendresse évidente les vignes de Cote d’Or et de Saône et Loire. Ces paysages (que je connais un petit peu, c’est ma région quand même…) vaguement vallonnés, avec des vignes à perte de vue, des petits murets, des grandes exploitations avec la cour intérieure, où chaque mètre carré porte un pied de vigne, jusqu’au bord du bord de la route, Cédric Klapisch leur rend hommage, en proposant de beau time-laps (soit en plans très larges, soit en plans très rapprochés), c’est un effet un peu facile mais qui fonctionne toujours. Il réussi un film bien charpenté, qui ne connait pas (trop) de longueurs (à part peut-être sur la fin, qui tarde un tout petit peu à venir), bien rythmé, avec des jolis plans. Il propose des petits flash back plein de tendresse, qui parfois même se mêlent au présent. Là encore, ce n’est pas un procédé révolutionnaire mais c’est bien fait, c’est bien dosé. Le film, qui dure presque deux heures, passe tout seul et si j’osais, je dirais qu’il se boit comme du petit lait ! Klapisch est un réalisateur qui a, quoi qu’on en dise, une « patte », même si elle est subtile. Et il s’offre un petit rôle de figurant, à la fin, juste le temps d’un mouvement de caméra. Bref, techniquement je ne vois pas grand-chose à redire, c’est un réalisateur que j’affectionne particulièrement et depuis bien longtemps. Pio Marmaï, Ana Giradot et François Civil sont parfaits, immédiatement attachants, parfaitement crédibles et bien entourés de quelques seconds rôles bien croqués. Difficile de départager ces trois comédiens, qui d’emblée nous donnent l’impression d’une fratrie crédible, à la fois pétrie d’affection mais en même temps minée par les problèmes habituels de la fratrie : rivalités, difficulté d’être dans la position de l’ainé, problème de succession et d’indivision
(car le papa va rapidement mourir…),
agrémenté d’un soupçon de chantage affectif, comme dans toutes les fratries qui se respectent ! Tout cela est psychologiquement bien crédible. D’ailleurs, c’est d’abord le sérieux du scénario que je veux souligner, car « Ce qui nous lie » est un film sur le vin d’abord et avant tout. C’est un sujet sérieux et le film de Klapisch est très documenté : on y discute technique, œnologie, chimie organique mais aussi « robe », « cuisse » et « longueur en bouche ». La trame du scénario n’est pas bien compliquée : une fratrie de trois se retrouve, des décisions sont à prendre concernant la terre, le vin, le domaine, les parcelles, la maison, tout cela sur fond de droits de succession et de rivalités avec les viticulteurs voisins, qui lorgnent sur les parcelles « grands crus ». Jean l’ainé, n’en finit pas d’hésiter entre sa famille en France, et celle qu’il s’est construit en Australie et qui lui manque, il est à la fois incapable de rester et incapable de partir, et il résiste mal, malgré tout, à l’envie de régler quelques comptes avec une adolescence pénible. Jeremy, le petit dernier, qui a épousé la fille d’un viticulteur voisin très riche et très autoritaire, à bien du mal à tenir tête à un beau-père envahissant et péremptoire. Et puis au milieu Juliette, certainement la plus douée et la plus passionnée, qui peine à trouver sa place dans un monde assez masculin. C’est assez subtil mais c’est toujours là, ce machisme ambiant et inconscient qu’elle doit subir : quand elle prend une décision, on lui demande si elle est sure d’elle, on s’adresse toujours à ses frères en premier, et elle mettra longtemps avant de taper un peu du poing sur la table ! Le scénario, même s’il souffre de quelques faiblesses et cède parfois un petit peu à la facilité, est quand même bien solide.
On peut regretter une « happy end » qui tarde à venir, alors qu’elle faisait bien peu de doute.
On peut trouver aussi que certains rebondissements sont un peu gros, un peu téléphonés
(la lettre trouvée dans la poche)
mais ce ne sont que des tout petits défauts. Le film est plein d’humour, un humour à la Cédric Klapisch, tendre et léger, sucré en première intention mais avec une pointe d’acidité en fin de bouche, jamais lourd, jamais malvenu, parfaitement dosé pour faire passer les moments plus douloureux, plus tendres ou plus complexes. Non, franchement, « Ce qui nous lie » est un film réussi devant lequel j’ai passé un excellent moment de cinéma, et c’est en plus un hommage à la Bourgogne, ce qui me touche particulièrement.