Fabien Marsaud, plus connu sous le nom de scène de Grand Corps Malade, coréalise avec son pote Mehdi Idir son premier film. « Patients », l’adaptation éponyme de son livre, qui raconte sa longue rééducation après l’accident qui a changé sa vie à tous les points de vue. Je n’ai pas lu son livre (pas encore…), mais « Patients » est tout à fait conforme à l’idée que je me faisais de son histoire. Pour lui comme pour Mehdi Idir, il s’agit d’un premier long-métrage et mine de rien, c’est déjà un petit tour de force. Parce qu’ils ont osé des petits trucs de réalisation, des plans intéressants, des travellings un peu soignés, une utilisation intelligente du flou, du noir (dans les 5 premières minutes, on est dans la peau de Benjamin, on cligne des yeux avec lui, c’est une entrée en matière très efficace et qui met le film sur les rails en quelques secondes), bref, parce qu’ils ont aussi soigné la forme, « Patients » est d’abord un bon film de cinéma. Mais leur plus grande réussite, je trouve, c’est d’avoir réussi un film qui parle essentiellement du « temps long » sans jamais donner à son spectateur l’occasion de s’ennuyer. Ce n’était pas gagné au départ, parce qu’un film qui met en scène un jeune homme en rééducation, pour lui tenir une fourchette ou passer le sel à son voisin de table est un défi de chaque jour, ça aurait pu très vite être répétitif, lassant, et tourner en rond. Et bien non, par le rythme, par l’utilisation de la bonne musique, par l’humour (moderne et punchy) quasi permanent des personnages, mais aussi par l’alternance subtile de moments drôles et légers avec des moments plus lourds et douloureux (pas trop nombreux et jamais très longs), « Patients » passe tout seul et à la fin de la séance, on est presque triste de les quitter, les « tétra » (plégiques), les « TM » (traumatisés crâniens), les soignants aussi, maladroits, exaspérants mais terriblement impliqués.. Dans le rôle titre, Paulo Pauly incarne parfaitement un Benjamin combatif et attachant, décidé à progresser, motivé à faire des efforts et qui devra, parce que c’est inévitable, traverser des périodes de doute, de découragement aussi. Plein de seconds rôles épatants à ses côtés, de jeunes handicapés à des stades divers de leur progression, de l’acceptation de leur état aussi : Soufiane Guerab, Moussa Mansaly, Franck Falise ou encore Naïla Harzoune. Tous sont formidables de naturel, drôles quand il faut l’être, capable de laisser transpirer la détresse intérieure quand il le faut. Ce n’est pas souvent qu’un film fait la part aussi belle aux seconds rôles, et j’en profite pour faire une mention spéciale à Alban Ivanov, en aide-soignant adorable mais exaspérant. Le scénario du film consiste en un numéro permanent d’équilibriste entre l’humour et l’optimisme d’un côté (les progrès, l’amitié, l’amour, les vannes qui vont biens) et de l’autre, le découragement et le renoncement (les gestes qu’on ne fera plus jamais, les passions auxquelles on doit renoncer la mort dans l’âme, les tentatives de suicide, la mort). J’ai eu le sourire aux lèvres et la larme à l’œil quasiment en même temps pendant toute la séance. C’est un cocktail très difficile à obtenir au cinéma, parce que souvent, un film finit par tomber d’un côté ou de l’autre. Il n’y aurait eu que de l’optimisme et des ondes positives (c’est là-dessus que s’appuie, à juste titre, la bande annonce), ça n’aurait pas fonctionné tout simplement parce qu’on y aurait pas cru. C’est ce cocktail d’humour noir et désespéré qui donne à « Patients » cette couleur nuancée et qui fait que, de la première minute au générique de fin, on croit en Benjamin, en sa renaissance. Plus de rien ne sera comme avant, tout sera différent, ni plus triste ni plus joyeux qu’avant, juste différent et un poil plus difficile aussi. Bien sur, on connait l’histoire de Grand Corps Malade et on sait qu’il est aujourd’hui slammeur, père de famille, bien dans ses baskets et réalisateur de cinéma. Mais la force du scénario et de l’interprétation de Paulo Pauly fait qu’on n’y aurait cru quand même, même sans savoir qu’il s’agissait de son histoire. De slam, il n’en est pas question encore, juste une tout petite allusion au détour d’une conversation avec son kiné et c’est tout. Dans « Patients », Fabien n’est pas encore Grand Corps Malade, il réapprend juste à être Fabien d’une autre manière et c’est déjà un sacré challenge. Le film pose aussi une question pertinente à laquelle il répond en creux : dans ce centre de rééducation se trouvent beaucoup de jeunes (et de moins jeunes) d’origine modeste mais pas de gens fortunés. Pourtant les François-Henri ou les Marie-Chantal ont bien eux aussi des accidents ! Où vont-ils faire leur rééducation et réapprendre à tenir une fourchette ? Sans le dire, « Patients » le sous-entends : dans du centre de rééducations privés, où ils peuvent se rééduquer entre eux, probablement. La souffrance à beau être la même, le handicap n’efface en rien les différences sociales. « Patients » le nom commun et « Patients » l’adjectif, réunis dans un seul et même titre, le film autobiographique de Grand Corps Malade est une vraie réussite qui nous fait toucher du doigt une réalité sur laquelle nous avons tous envie de fermer les yeux, parce qu’elle nous fait peur et c’est logique. « Patients » peut aussi avoir pour effet de faire avancer quelque chose dans le regard de la société envers le handicap : un tout petit quelque chose mais un quelque chose quand même.