Bon sang qu’il est bon Aronofsky !
Comme Pi, The Fountain et Noé, Mother! est une œuvre très symbolique et spirituelle. Le personnage de Jennifer Lawrence est évidemment marial et celui de Javier Bardem est démiurgique (dans un sens gnostique ; le perso de Jennifer Lawrence peut d’ailleurs aussi être vue comme une représentation de Sophia). Sont également représentés la création d’Adam et Eve (la blessure d’Ed Harris symbolise la création d’Eve de la côte d’Adam) et leur expulsion d’Eden (le bureau de Bardem après que sa pierre soit cassée), l’opposition entre Abel et Caïn, la notion du mythe de l’éternel retour, etc.
Ce film est également psychologique, étudiant les angoisses liées à la maternité.
Mother! n’est pas facile à suivre, il faut s’accrocher et il est probable que la majorité des spectateurs ne comprendront rien et n’aimeront pas cette œuvre, qu’ils se contentent de regarder des films de Marvel... Mother! est une expérience rare et originale, un soulagement face à une industrie du cinéma qui assomme le public avec une production en masse de films superficiels, médiocres et insipides.
Mother! est exceptionnel !
Comme je l'ai écrit au début de ma critique, j'ai vu dans ce film une adaptation du gnosticisme : Bardem est le demiurge Yaldabaoth et Lawrence est Sophia.
Bardem n’est donc pas Dieu, il est simplement un créateur non-divin ; les gens le suivent comme un dieu bien qu’il ne l’est pas. Quant à Lawrence (mère du demiurge et du Christ, c’est-à-dire du désespoir et de l’espoir), elle souffre à cause de sa propre création (le démiurge) car l’éloignant du véritable divin, c’est pour cela qu’elle détruit la maison (représentant le monde du demiurge) qui n’est qu’une prison pour elle (elle n’en sort jamais, ne peut jamais atteindre la nature environnante, là où se trouve Dieu) ; Lawrence symbolise la souffrance de l’existence terrestre qui est limitée et chaotique, cherchant plutôt l’état de paix édénique originel, celle de Dieu (ou d’Adam et Eve), représentant non seulement un lieu mais également une époque idéale où l’Homme était proche de Dieu et ne souffrait pas : thème commun à de nombreuses religions, avec les notions de « nostalgie des origines » et de « mythes de l’éternel retour » étudiés par Mircea Eliade. Les deux personnages s’inscrivent donc dans un temps cyclique pour tenter de retrouver un idéal primal ; l’éternel recommencement permet aussi aux personnages de purifier/améliorer la Création et eux-mêmes, en essayant d’apprendre de leurs erreurs passées.
Le film a pu également être influencé par le mysticisme juif (déjà présent dans Pi), le cristal de Bardem se rapprochant visuellement plus du Kli (objet contenant la lumière divine) que d’un fruit défendu.
Petit rappel : pour les gnostiques, Sophia (sagesse en grec) est une Aeon (émanation de Dieu) qui voulut atteindre Dieu (chose impossible car se serrait comme si l'un de nos bras souhaitait devenir nous-même) ; de plus sa volonté n’était que désir et hubris. Frustrée, elle donna naissance à l'avorton Yaldabaoth : ce dernier pensant être dieu, créa le monde matériel (celui dans lequel on vit) où rien n’est divin (le monde est aussi imparfait que son créateur). Mais dans certains individus existe l’esprit où souffle divin (pneuma), une étincelle du divin qu’il faut libérer de la prison matérielle crée par le demiurge Yaldabaoth ; pour se racheter, Sophia (avec les autres Aeons) tente d’aider les humains à libérer leur esprit, pour qu’il puisse rejoindre le Plérome (royaume de Dieu en quelques sortes). Yaldabaoth se fait bien-sûr passer pour Dieu et nombreux sont ceux qui croient en lui ; c’est le dieu de l’Ancien Testament mais pas le Dieu ultime ; d’où la nécessité du Nouveau Testament, celui du vrai Dieu qui tente de guider l’humanité vers la vérité.
Le gnosticisme fut mis à l’écart du christianisme « mainstream » à la fin de l’antiquité par les théologiens, évêques et politiques influents (notamment lors des différents conciles, dont celui de Nicée, officialisant et unifiant le dogme de l’Eglise) ; les gnostiques diraient donc que le christianisme fut perverti par le demiurge et ses fidèles. Mais certains concepts gnostiques ont survécu tout au long de l’histoire grâce aux opposants du mouvement (Irénée de Lyon, etc.) ayant écrit dessus, à travers l’existence d’autres mouvements minoritaires (Cathares, Bogomiles, etc.) et avec la découverte de la « Bibliothèque de Nag Hammadi » en 1945.