Il s’appelle Jacques Blanchot et sa femme lui demande de quitter le domicile car elle est soudainement prise d’une maladie rare dénommée la Blanchoïte. Le pauvre homme acculé à habiter dans un hôtel sordide, achète un chien à un affreux dresseur canin, laquelle bête meurt sous les roues d’un camion.
Rien ne va dans ce film. Notre héros est le anti-héros par excellence. Le pire, c’est qu’il accepte à la façon d’un chien les humiliations les plus basses qu’aucun être humain n’est capable de subir. En cela, le nouveau film de Samuel Benchetrit pose la question de son genre. S’agit-il d’une comédie grinçante où le personnage principal accepte de s’adonner aux humiliations les plus viles ? Ou bien s’agit-il d’un pamphlet social contre une certaine Europe du Nord où les habitants sont pétris des pires ressentiments à l’égard de la nature humaine.
Sans doute, ni l’un ni l’autre. Le dernier film de Benchetrit, Asphalte, offrait un récit poétique et délirant à la fois, empreint des influences littéraires d’un Bertrand Blier, dans un immeuble où se côtoyaient des êtres hirsutes et attachants. Car le réalisateur aime le cinéma bien écrit. Les dialogues sont riches, fins, et la mise en scène elle-même, volontairement excessive, et dans ce Chien, il ne déroge en aucun cas à son goût d’une esthétique du bien dire. Le problème demeure que le cinéaste n’aime pas ses personnages. Il montre une épouse maigre, cruelle, sans la moindre empathie, un fils glacial qui se fait racketter avec indifférence, et surtout un éleveur canin, absolument détestable, maltraitant et manipulateur. Il devient alors impossible pour le spectateur d’éprouver la moindre empathie à l’égard de ces gens, réduits à des rôles macabres. Le héros, incarné par un Vincent Macaigne, subit sa vie avec une sorte de complaisance totalement insupportable. On ne comprend pas comment autant le réalisateur et les acteurs aient accepté de se livrer à un tel abandon de soi. Même Vanessa Paradis est fardée au point de la faire paraître maladive et repoussante. On se rappelle d’une Isabelle Adjani que Polanski avait réussie à rendre divinement fascinante malgré sa figure d’une locataire chétive et pleurnicheuse.
On rit jaune, certes. On rit surtout d’une vision du monde absolument triste. Au point d’ailleurs que l’on finit par soupçonner le réalisateur d’une certaine complaisance. Car Samuel Benchetrit ne se contente pas de mettre en scène un film. Il adapte sur un écran un roman dont il est l’auteur. Le manque de recul, l’absence complète d’émotivité à l’égard de ses personnages, constituent donc chez le cinéaste un projet manifeste. Cela est d’autant plus impardonnable qu’on souffre pendant une heure et demi avec ce pauvre Jacques Blanchot, réduit aux décombres de la pire des inhumanités.
Vraiment, le cinéma doit poursuivre d’autres vertus que celle de prendre en otage les spectateurs dans une vision aussi négative du monde. Bien sûr, le propos de Chien est délibérément satyrique et ironique. Pour autant, la sauce ne prend pas, laissant le spectateur dans un état d’hébétude et de consternation totale.