La comédie à l'italienne est un genre qui, comme chacun sait, a connu ses heures de gloire voilà déjà de nombreuses années et dont beaucoup conservent la nostalgie. On sait aussi que ce type de film se caractérise par une critique sociale ou politique et qu'elle ne se limite jamais à la seule ambition de faire rire. "Folles de joie" - traduction imparfaite du titre original, "La pazza gioia" - est un film dont l'atmosphère survoltée et souvent enjouée est indéniablement celle des chefs-d’œuvre des années 50 et 60 : même flot verbal, même énervement tous azimuts, même caractérisation des personnages tendant à la caricature, même dessein satirique. De ce point de vue, les amateurs du genre se régaleront. Oui, mais la comédie a dans le cas présent un goût amer et adopte des couleurs franchement sombres dans la deuxième moitié du film. Car si celui-ci est d'abord centré sur le personnage, volubile à souhait, de Beatrice, incarné à la perfection par Valeria Bruni-Tedeschi, grande bourgeoise mythomane qui prétend fréquenter tous les grands de la terre, il s'oriente dans la deuxième partie vers celui de Donatella, une démunie qui cache un lourd secret et dont la présence beaucoup plus discrète, assumée par Micaela Ramazzotti, confère un caractère profondément sombre au film de Paolo Virzi. Certes ces deux femmes ont en commun le désordre mental : elles sont condamnées à vivre dans le même établissement psychiatrique même s'il arbore l'extérieur d'une somptueuse villa de Toscane. Et pourtant elles vont s'enfuir et c'est leur virée qui nous est contée durant la plus grande partie du film. On pense inévitablement à "Thelma et Louise" et l'affiche comme la bande-annonce nous incitent à ce rapprochement. Pourtant le road-movie de Ridley Scott contait une évasion désespérée et sans véritable but, alors qu'ici l'évasion a pour objectif de permettre aux deux femmes égarées de renouer avec leur passé, avec leurs mondes originels, avec leur histoire. Et la sympathie que Beatrice témoigne à l'égard de Donatella dans sa quête de vérité a quelque chose de touchant qui nous rapproche bien plus du mélodrame - le plus digne, c'est-à-dire le moins larmoyant - que de la comédie stricto sensu. On comprend que l'institution psychiatrique est au cœur de la dénonciation opérée par Paolo Virzi. Mais c'est aussi la société italienne qui est mise en scène avec ses contradictions, ses égoïsmes, son hypocrisie, ses profondes inégalités sociales, mais aussi ses élans de générosité qui peuvent redonner l'espoir à ceux et à celles qui avaient oublié jusqu'à l'existence de ce mot. Film solaire malgré tout, "La Pazza gioia" profite d'un chaud soleil d'été pour donner à l'ensemble une lumière qui manque au cœur de ces deux femmes marquées par la maladie la plus sournoise qui soit, celle des âmes.