« El cuerpo » a lancé la carrière d’Oriol Paulo sur le grand écran en 2012 et le réalisateur espagnol ne s’arrête pas là, convaincu qu’il pourrait davantage explorer les thrillers. Très inspiré des romans d’Agatha Christie, ainsi que des œuvres d’Alfred Hitchcock, en passant par David Fincher et même Stanley Kubrick, il parvient à instaurer une certaine aura ténébreuse, sans pour autant briller dans la gestion de ses informations. Ce qu’il réussit cependant, c’est d’avoir travaillé l’environnement où des personnages imparfaits évoluent. Avant l’enquête, il est question de la passion et de l’art de la manipulation. Le film est truffé de bluffs en tout genre et c’est lorsqu’il nous amène à nous interroger qu’il rebondit, encore et encore, suivant les codes des œuvres policières préalablement dépoussiérées.
Tout est une question de perspective et dès l’introduction, on nous emmène dans l’antre de la bête. Le tout est de savoir l’identifier et donc le jeu repose sur cette piste qui oscille entre une vengeance personnelle et un procès avant l’heure. Adrián Doria (Mario Casas) et son amie Laura Vidal (Bárbara Lennie) partagent un passé commun qui les rattrape. Sans surprise, ce sera sur un fond de dérapage que la psychanalyse rentre en jeu. Et sur ce point, le film manœuvre parfaitement son lot de mystère et la mise en scène l’entretient également. Cependant, cette fin d’épisode est hachée au montage, car elle souhaite habilement éclipser des informations clés. Semer le doute semble être tout l’enjeu d’un film qui mise tout sur la surprise. Il n’y a pas besoin d’être un génie pour le soupçonner, ni besoin de trop s’en rapprocher pour démonter la narration prévisible et rocambolesque. C’est dans ce premier doute que le spectateur analyse une rupture trop étincelante pour ne pas l’ignorer.
À mi-temps du diagnostic complet d’Adrián, le suspect présumé, la machinerie s’embourbe et n’a pas d’autres choix que d’accélérer. Pourtant, l’entretien avec l’avocate Virginia Goodman (Ana Wagener) est une bonne raison de s’intéresser davantage à ce complot. Bien que son autorité et sa crédibilité montent rapidement d’un cran, elle n’est pas à l’abri de multiples flash-backs intensifs et qui nous égarent plus qu’ils nous divertissent. Rien de nouveau juste là et c’est bien le handicap principal d’une œuvre qui se repose trop sur des fondamentaux. Le scénario a beau avoir été soigné pour limiter les incohérences, mais il ne reste pas invraisemblable pour autant. Une double lecture se dessine d’ailleurs trop rapidement pour qu’on prenne au sérieux tous les « mensonges et manipulations » que l’on énumère intentionnellement, dans le but de servir un dénouement, certes revisité, mais d’une justesse recommandable.
Outre ses titres internationaux (l’Accusé/The Invisible Guest) banalisant le réel intérêt de l’œuvre, « Contratiempo » nous autorise à douter et revient sans arrêt avec de nouveaux ingrédients afin de démasquer le véritable stratège du récit. Sans révolutionner le genre, le film prend tout de même le temps de bien faire les choses, notamment sur une photographie glaciale, annonçant déjà que toute décision est irréversible. Ce parti-pris néglige donc une partie d’une enquête, que l’on étire à tort, passé une bonne heure de réflexion. Que pouvons-nous croire ? Que pouvons-nous deviner ? Tout est possible, mais tout n’est pas nécessaire pour autant. Depuis, deux remakes ont vu le jour sur le sol Italien et Indien. Il est sage de penser piéger une audience avec les bons moyens, encore faut-il y parvenir avec plus de lucidité, si possible.