Je m’adresse à ceux qui n’ont pas encore vu le film de Karim DRIDI « CHOUF » et à ceux qui l’ont vu et qui se sont arrêtés au carrefour de lieux communs en terme d’analyse filmique en critiquant avec véhémence. Cela devient une habitude bien triste. Je ne suis pas meilleure qu’un autre, mais j’aime bien pousser le questionnement toujours plus loin.
Ceci dit, il n’est pas question ici, de parler de goût (comédie, drame ou autres) Non. On s’en fout. Il s’agit de savoir si la réalisation d’un film vaut bien le temps passé et les sacrifices que demande un tournage avec autant de personnages pour un sujet donné. Ceux qui connaissent le monde du cinéma le savent bien. Je parle bien entendu des professionnels et non pas des faiseurs de tout sur tout sous prétexte d’avoir une caméra et une équipe montée à la va vite et faire pour faire. Non, mais bien de remarques sur les ingrédients qui ont fait de ce film « CHOUF » de Karim DRIDI une vraie réussite.
Nous sommes en présence d’un lieu mythique de Marseille où les choses ne se passent pas comme partout ailleurs dans la ville. Karim DRIDI s’est attelé à un sujet que je qualifie de « casse-gueule » Il fallait être courageux mais aussi très talentueux pour aborder de cette manière-là ce thème. Et la réussite est totale à plus d’un titre. Le réalisateur a su peindre une fresque du quotidien de ces fameux quartiers Nord. Ceux dont tout le monde parle mais que personne ne voit jamais vraiment de l’intérieur, même la majorité des flics. Pour cela il faut s’appeler PUJOL ou DRIDI. Besson a essayé et ses voitures ont brulé je crois ! Ne vous y trompez pas. Vous avez affaire à des humains authentiques ! Certes, différents de la majorité de leurs semblables (tout le monde n’a pas de kalach chez soi !) mais authentiques et forcément intuitifs.
Et la réussite -en dehors des prises de vues (je laisse cela à l’équipe technique que je salue ici pour ces très belles images)- de la finesse d’écriture dans ce scénario complexe, a poussé au maximum le sens du détail de chaque personnage dans ce contexte si singulier. Ce thème travaillé de la sorte est vraiment rarissime. Je ne vois pas vraiment de rôle titre (oui, d’accord, il y en a) tant chacun d’eux a été pour ma part excellemment mis en scène et très bien interprété. Le travail de jeu de ces apprentis acteurs laissent bouche bée tant la justesse du regard et du geste reste naturelle. Ni plus, ni moins. Ni trop ni trop peu. Vous me direz, ils n’ont pas eu à puiser bien loin. Mais la création y est.
Dès le premier quart d’heure, ce film dérange par son objectivité. Des frissons se font sentir dans tout votre corps enfoncé dans le fauteuil de la salle de cinéma. Non, en vérité, on ne s’attend pas à cela. Les premières minutes tendent même à sourire à la vision d’une caricature des quartiers Nord avec sa gouaille de petits trafiquants qui se la « jouent ». Mais tout de suite des frissons vous parcourent de la tête aux pieds indiquant bien que ce qui se passe là sous vos yeux est bien plus sérieux. Vous êtes pris par le film et vous faites partie de la famille. Vous êtes dedans. Les frissons changent. Joie, rires, pleurs, agacement, colère, injustice, fatalité…Vous êtes dedans jusqu’à la fin et vivez avec toute la bande.
Ces premières images vous rappellent même –pour ceux qui l’ont lu – « La fabrique du monstre » de Philippe Pujol tant ce que vous y avez lu est retranscrit à l’écran ! Et là vous comprenez. Vous entre- apercevez le drame si quotidien qu’il en est double tant il devient « naturel » comme une deuxième peau.
Allez voir ce film. Dépassez les préjugés, engagez un questionnement entre vous et vous-même. Analysez, demandez-vous pourquoi l’espoir de ces jeunes s’effondre à la première « bévue » mais aussi pourquoi ce même espoir ne meurt pas et ne peut pas mourir. Il suffirait d’un petit quelque chose…
Ce petit quelque chose qui semble-t-il, n’arrive pas ; non pas parce qu’il n’existe pas, mais parce qu’il est souvent écrasé par des géants aux pieds d’argile avec la volonté farouche du déni qui arrange tout le beau monde ou presque.
Alors, en effet, je ne fais pas partie de cette population qui répète avec ignorance et arrogance les propos de notables de la ville qui préfère recevoir des Tom Cruise, prince de la scientologie en grande pompe jadis et parler aujourd'hui de Marseille bashing ( et sans l'avoir vu s'il vous plait ! et pour un ancien prof d'histoire cela soulève des questions) pour CHOUF alors même qu’il n’y a pas si longtemps, on honorait une série qui se moque de Marseille de façon si affligeante, déplacée et crétine que ses clichés auraient pu être risibles...
Loin de faire l’apologie de la vie des gens des quartiers Nord dans le film de Karim DRIDI, nous sommes bien obligés de prendre en compte la réalité que décrit ce film.
Sociologie : un film qui fait réfléchir sur la vie des hommes d’une cité, de la politique apportée (ou pas) et du ghetto dans lequel sont enfermés tous ceux qui veulent simplement vivre. Posons-nous les bonnes questions. Regardons les causes plutôt que les effets…CHOUF nous dresse un constat sans artifice ! il devrait interpelé justement ceux-là même qui se détournent du sujet.
Filmiquement, « CHOUF » un film entièrement réussi et à tous les niveaux EXCELLENT ; un grand réalisateur : Karim DRIDI. Félicitations à tous les acteurs professionnels et amateurs. Un grand merci.