"La favorite" : voilà un long métrage qui ne plaira pas à tout le monde. D’ailleurs ce que je pense, c’est que soit on aimera ce film, soit on le détestera, et qu’il n’y aura guère de juste milieu. Parce que le film du grec Yórgos Lánthimos est très particulier. Ma foi, je dois reconnaître que les qualificatifs qui trônent sur une déclinaison de l’affiche résument parfaitement bien l’esprit de cette réalisation : « un délice baroque » selon une certaine presse, « cruel, drôle, tragique ! » selon une autre. Selon moi, je dois admettre que c’est tout à fait ça, toutefois après avoir pris le soin de prendre du recul. Pour autant, lorsqu’on se met devant son écran, on est loin d’imaginer ce qui nous attend. D’autant que la première scène s’ouvre sur un décor fastueux, accompagnée d’une musique classique des plus appropriées. Et puis le spectateur se voit interpellé assez rapidement par le style du cinéaste. Certains plans ont été pris selon une image convexe, plus ou moins comme le faisaient les premières caméras de surveillance. J’ignore si c’était pour étroitiser les espaces et rendre certains d’entre eux exigus (intérieur du coche) mais si c’est le cas, c’est réussi. L’inconvénient est que c’est assez désarçonnant. Mais si ça ne s’arrêtait qu’à ça. Le cinéaste et la production se sont efforcés à casser les codes du film historique portant sur les hautes sphères de l’Etat, en l’occurrence l’Angleterre. Certes les mondanités, les us et coutumes, les comportements guindés sont toujours là mais il y a été rajouté beaucoup d’irrévérence, révélant ainsi la cruauté dont ce milieu peut faire preuve pour accéder à la place de choix ou à la conserver. Mais cela permet de montrer avec plus de force encore les excès de la haute aristocratie, alors que celle-ci est sensée montrer l’exemple : gaspillage de nourriture alors que les hommes sont sur le front, perversité à la fois vocal et gestuel… Au moins, cela change des grands classiques du genre, et si le souhait de nous démontrer que nous n’avions rien à envier à ce monde-là hormis les dorures de la place qu’ils occupent, eh bien c’est réussi par des scènes choquantes, en particulier par les passe-temps qui n’ont rien d’amusant… et qui pourtant semblent les amuser au plus haut point. Certes les bons comportements n’ont jamais empêché les complots, mais ici ces derniers sont plus simples à mettre en œuvre, et la rivalité se met en place sous le coup de menaces voilées sous le masque de la civilité. Une œuvre dérangeante donc, et pourtant merveilleusement mise en scène, filmée et rythmée. Quelques petites longueurs de ci de là par des plans-portraits un chouia trop longs, mais rien à redire sur le jeu d’acteurs, en particulier le trio qui nous honore de sa présence à l’écran. Olivia Colman est parfaite dans le rôle de cette reine méconnue, dernière héritière de la lignée des Stuart. Je ne sais pas si elle mérite vraiment son Oscar, mais si elle l’a obtenu, c’est sans doute parce qu’elle a consenti à subir une vraie transformation physique pour les besoins de son interprétation, et que par les handicaps qu’elle a dû retranscrire, elle bénéficiait indéniablement du rôle le plus difficile. En ce qui me concerne, j’aurai remis l’Oscar à l’artiste ayant endossé le rôle-titre, à savoir Emma Stone (quoique le doute est permis sur l’identité de ladite favorite). En effet, sous son air de jeune ingénue innocente, son personnage est bien plus malin qu’elle ne veut le montrer, armé de son désir sans cesse grandissant de prendre sa revanche sur le passé. Il serait injuste de ne pas parler de Rachel Weisz qui, dans la peau de Lady Sarah, est magnifique de froideur de rage et de détermination, le tout subjugué en prime par sa beauté naturelle. De nombreuses nominations et récompenses obtenues un peu partout plus ou moins méritées, mais j’aurai aimé préféré que les costumes et les décors soient davantage primés car un gros boulot a été fait dessus et nous n’avons aucun mal à nous plonger au cœur du XVIIIème siècle. Pour ma part, je n’ai pas tellement adhéré à ce film, trop stylé à mon goût. C’est un choix audacieux, que je respecte absolument car quoiqu’on en dise, nous sommes pris dans cette rivalité ayant pour enjeu les faveurs de la Reine. Mon seul souci est que la fin me parait bâclée et tombe à plat complètement. Moi qui attendais à un final fort, puissant… Espoir déçu donc, aussi (toujours selon moi), j’aurai plutôt arrêté le film au moment où Lady Sarah pense recevoir son courrier tant attendu. Quant à la musique, elle alterne le bon et le moins bon. Ou plutôt l’excellence et… et… raaaa je ne vois pas comment dire… l’anachronique ? le hors-sujet ? Disons qu’il y a un thème (« Didascalies ») qui m’a bien dérangé : un thème qui instaure du suspense par la même note qui revient toutes les deux secondes et demi, qui laisse supposer que quelque chose va arriver. Sauf qu’il ne se passe rien.