Le cinéma de Yórgos Lánthimos possède autant d’admirateurs que de détracteurs, ces derniers lui reprochant froideur et posture, ne voyant en lui qu’une habile bateleur qui utiliserait l’ironie et le cynisme comme diversion pour faire oublier la vacuité de ses créations. Un point, au moins, est exact : Lánthimos est un manipulateur dont le grand plaisir est de se jouer des codes cinématographiques, cette fois ceux du film en costumes d’époque, puisque ‘La favorite’ raconte la lutte sans merci, au début du XVIIIème siècle, entre la puissante duchesse de Malbourough et sa jeune cousine Abigail Hill pour gagner les faveurs de la reine Anne, dernière souveraine Stuart à la personnalité instable et puérile, rendue à moitié folle par le décès prématuré de ses dix sept enfants. Après le thriller sous-tendu par une logique de tragédie antique, le renversement est ici évident : l’attraction centraledu film, c’est ce triangle amoureux et belliqueux entre trois femmes de tête, tenaces, ambitieuses et dangereuses chacune à leur façon, incarnées par des actrices impeccables. Contrairement à l’image communément répandue, elles tirent les oiseaux, donnent des ordres qui ne souffrent aucune contestation, chevauchent à bride abattue et manoeuvrent sans pitié pour se glisser dans le lit de la reine, alors qu’autour d’elles, dans les alcôves et les petits salons, les hommes, poudrés et emperruqués, s’adonnent à des loisirs insignifiants. Ce duel pour le pouvoir occulte - qui contrôle Anne contrôle l’Angleterre - , qui se joue tout d’abord à fleurets mouchetés et à coup de petites phrases sibyllines, prend vite les allures d’une lutte à mort où tous les coups sont permis : comme souvent chez le réalisateur grec, on ne sait pas déterminer avec certitude où finit l’humour et où commence la cruauté. Il y a toujours de la pose - l’idée de filmer certaines scènes comme à travers une lentille grossissante compose un résultat visuel intéressant mais dont on ne comprend pas la finalité - et au bout d’un certain temps, ‘La favorite’ se cantonne à relancer la machine à coups-bas de manière un peu vaine encore et encore, plus intéressé par la rumeur et le pamphlet que par l’exactitude historique. Pourtant, en observant l’histoire par le petit bout de la lorgnette, en ne rechignant ni à l’humour ni à la trivialité, et en choisissant un sujet qui lui permet de montrer que les grandes évolutions ou les grandes erreurs de l’histoire ont souvent une origine très prosaïque, Lánthimos vient presque de donner une seconde jeunesse à l’oeuvre patrimoniale, l’un des genres cinématographiques les plus poussiéreux et les plus difficiles à apprécier quand on n’a guère d’affinités avec l’histoire.