Comme une des séquences d'Arte: tout est vrai.... ou presque. Tous les personnages historiques sont là -et tous les personnages sont historiques, mais vous vous demandez comment un réalisateur aussi imaginatif que Yorgos Lanthimos a pu se plier au moule du film historique. Eh bien.... en brodant!
Au début du XVIIIème siècle, Anne règne sur l'Angleterre au terme d'une succession des plus compliquée, tant sur le plan familial que sur le plan religieux (catholiques contre anglicans). L’Angleterre et la France sont en guerre. Anne est une femme prématurément vieillie, bouffie, que la goutte rend quasiment impotente; elle ne déplace plus qu'avec une béquille ou dans une chaise, les jambes entortillées dans des pansements répugnants. Après dix sept grossesses, elle n'a aucun enfant vivant (le plus solide est mort à dix ans). Faible de caractère, instable, elle est entièrement sous la coupe de son amie d'enfance Sarah. Les deux copines se sont donné des surnoms. La reine est madame Morley.... Sarah épouse John Churchill, qui sera fait comte de Malborough, et Anne, Georges de Danemark (déjà mort, manifestement, au moment où se passe le film). Avec Malborough, nommé chef des armées, et le premier ministre Godolphin, le gouvernement est aux mains des torys.
Et voilà qu'arrive à la cour Abigail, une cousine de Sarah tombée dans la misère (son père s'est ruiné au jeu et l'a vendue....) D'abord servante, elle va séduire la reine, s'insinuer dans sa vie et supplanter Sarah, occupant à sa place le prestigieux poste de "gardienne de la bourse privée", tandis que Sarah, ayant exhibé un tract whig accusant la reine de lesbianisme, est obligée de s'exiler.
Quel beau scénario! quels beaux personnages! Les hommes? Ils n'existent pas, ou si peu! Ridiculement maquillés et perruqués, comme Casanova vu par Fellini, ils possèdent des canards de course (!!) et, interdits de la chambre royale, prennent de la bouche de Lady Sarah les instructions pour mener la guerre.. Vive les femmes!
Face à ces fantoches, un super trio de femmes: la très belle Rachel Weisz est une magnifique Sarah ambitieuse, arrogante, distribuant gifles et coups de poing s'il le faut, et la charmante Emma Stone une Abigail rouée, manipulatrice, hypocrite; pour Olivia Colman, c'est un marche pied pour l'Oscar que ce rôle de la reine Anne, dont elle traduit toutes les facettes, passant de la pleurnicherie à l'autoritarisme, une femme déboussolée, tellement seule en fait, qui hurle de douleur et de désespoir en se roulant dans les draps de son immense lit....
Yorgos Lanthimos s'ébroue dans l'histoire comme un.... canard dans la mare. Comme Alexandre Dumas, il lui fait de beaux enfants! Des relations saphiques entre Anne et ses favorites? Pourquoi pas! N'était ce pas la meilleure façon de "tenir" cette femme sans affection.... Tout est à la fois parfaitement juste et juste un peu faux.... Par exemple, les ravissantes robes des dames ont des coupes d'époque, mais dans des étoffes absolument anachroniques, avec des décors géométriques, des tissus synthétiques sans doute... Les décors magnifiques, avec d'interminables galeries sont ponctués de laquais, mais en même temps on se doute bien que l'étiquette ne fonctionnait pas comme cela! Les petites touches humoristiques ou décalées sont partout, mais l'invention la plus délirante de Lanthimos, ce sont les dix sept "enfants" qui vivent dans la chambre de la reine, dix sept jolis lapins qui remplacent les dix sept petits morts....
Original, décalé, à voir absolument