C’est un film somptueux et baroque que nous offre Yorgos Lanthimos avec La Favorite…film à la fois maniéré et cru, aux accents felliniens dans l’outrance des personnages, rappelant « Que la fête commence » de Bertrand Tavernier dans cette présentation d’une nuée de courtisans, poudrés, portant perruques , grossiers, idiots, s’adonnant à des amusements absurdes, course de canards à l’intérieur même du palais, lancer d’orange sur un bouffon dénudé…image de décadence et de puérilité…alors que le pays est en guerre avec la France…La reine Anne à la santé fragile et au caractère cyclothymique occupe le trône , elle a 37 ans, 17 grossesses à son actif et pas un descendant vivant…elle sera la dernière de la lignée des Stuart…personnage sans grande envergure, dondon bonasse ou bêtasse, elle se morfond dans son immense chambre à coucher, passant de long moment avec 17 lapins nains qu’elle appelle ses enfants…Yorgos Lanthinos a dépeint la reine de manière grotesque, sans jugement, geignarde, au maquillage outrancier , marionnette sans épaisseur que semble manipuler sa favorite, Sarah Churchill, duchesse de Marlborough, confidente, amante, et surtout celle qui gouverne le pays …maitresse femme qui sait manier les armes avec dextérité, se plait à s’habiller en homme quand les circonstances l’autorisent, montrant une assurance exceptionnelle devant un Lord Harley, premier ministre du royaume qu’elle renvoie à son impuissance…jusqu’au jour où débarque au palais, sa cousine, Abigail Hill, déchue de son rang par un père que le jeu a ruiné…Par compassion Sarah l’envoie travailler aux cuisines…sous la coupe d’une robuste matrone…Abigail entend faire sa place, et ayant prodigué à la reine une décoction de plantes de sa fabrication qui apaise la goutte de la souveraine, elle entre dans ses faveurs , jusqu’à partager son lit …Commence alors entre Lady Sarah et sa cousine Abigail, une véritable guerre pour se disputer les faveurs de la reine…Ce sont les moments les plus passionnants du film, où se conjugue au féminin une réflexion sur l’ambition, l’opportunisme et les rapports de domination…la difficulté étant de savoir rester à sa place tout en essayant de mettre tout en œuvre pour obtenir le confiance de la souveraine…Jeu pervers où tous les coups sont permis mais où l’on ne peut gagner sur tous les tableaux… Pour servir sa démarche, Yorgos Lanthimos a choisi un casting d’exception, amenant chaque actrice à entrer dans cet univers incroyablement glaçant et cynique sinon parodique…Olivia Colman qui a du prendre une vingtaine de kilos pour le rôle est troublante et touchante en reine Anne dépressive et tyrannique. Cette interprétation lui a valu l’oscar de la meilleure actrice, le Golden Globe, et autres distinctions… Emma Stone est incroyable de fourberie, oscillant entre l’image d’une douce agnelle et celle d’une vipère venimeuse….Enfin Rachel Weisz est resplendissante d’intelligence et de froideur virile en meneuse politique, alliant intelligence, autorité et beauté hiératique…Dans ce monde d’hommes, ces trois femmes sont celles qui tuent (tirs aux pigeons), qui baisent, qui agissent , qui plient mais se relèvent toujours….les deux actrices ont-elles-mêmes reçu plusieurs distinctions pour leur interprétation…
Mention spéciale à un autre aspect du film, le décor et le travail de Fiona Crombie la chef décoratrice…Yorgos Lanthimos a jeté son dévolu sur Hatfield House, une propriété jacobine dans l’Hertfordshire en Angleterre dont la structure a été construite en 1611 par Robert Cecil, Premier ministre du roi James Ier….Ses longs couloirs semblent s’étendre sur des kilomètres, donnant sur d’immenses escaliers et de spacieux salons…filmés souvent en grand angle l’impression de vastitude et de démesure est renforcée…le fait d’être confiné dans des espaces clos ne peut qu’attiser les tensions personnelles des personnages…Le film a été tourné sans éclairage artificiel, avec beaucoup de scènes de nuit à la chandelle…la photographie de Robbie Ryan est particulièrement soignée tant pour les scènes d’extérieur que d’intérieur…C’est ce mélange de drôlerie et de férocité, allié à un scénario intelligent, des actrices hors pair, un montage audacieux et une photographie somptueuse qui font de La Favorite un film accompli…