L’époque de la Renaissance s’est souvent prêtée à merveille aux histoires mêlant conspirations, trahisons, drames passionnels et instants de débauche au cinéma. Un constat que l'on peut appliquer une fois encore dans La Favorite, nouvelle production anglophone du cinéaste grec Yorgos Lanthimos. Réalisateur qui nous a précédemment habitués à l’abstrait et à l’absurde, le virtuose hellénique a également fait preuve d'une certaine créativité formelle appréciable à bien des égards. Ce projet de renouvellement du film d'époque était prometteur sur le papier donc, bien que les différents extraits parus jusqu'à sa sortie nous préparaient à un film plus sage qu’à l’accoutumée. Qu’en est-il finalement ? Roulements de tambour et verdict un petit peu plus bas.
Nous voici plongés dans l’Angleterre du début du XVIIIème siècle. La reine Anne, à la santé physique et mentale fragile, peine à régner sur un royaume alors en guerre contre son ennemi héréditaire d’Outre-Manche. Son amie Lady de Marlborough gère plus ou moins les affaires du pays quand débarque Abigail, cousine de cette dernière, aux racines nobles mais à la condition sociale précaire. Nouvelle menace pour la favorite de la reine ? Tel est le sel de l’intrigue qui sera déroulée pendant deux heures sur un sujet librement inspiré des faits réels qui ont animé la Cour de l’époque.
L'introduction du film donne le ton avec des enjeux limpides et un développement assez long qui fera la part belle à la mise en place des personnages. On assiste dès lors à un véritable jeu de manipulations entre ces trois femmes aux liens ambigus dans une Cour totalement déconnectée de la réalité de la population et où la débauche règne en maître. Lanthimos a le don de rendre ses personnages principaux intrigants tant leurs intentions se dessinent petit à petit en fonction des opportunités et obstacles qui se présentent face à eux. Chacune dispose de suffisamment de personnalité, ce qui fait que l’on peut prendre un malin plaisir à les voir évoluer dans ce milieu impitoyable. C’est ce qui fait la force et l’intérêt majeur de ce film, le fait de voir des personnages tentant par tous les moyens de parvenir à leurs fins et ne reculant devant rien. Le tout dans une atmosphère teintée de noirceur humaine, d'érotisme dérangeant et de magouilles politiques.
Le personnage d’Abigail (incarnée par Emma Stone) n’est pas sans rappeler l’arriviste Eve dans le film éponyme de Joseph Mankiewicz. De la même manière que le thème et l’époque nous font penser au chef d’œuvre Barry Lyndon de Stanley Kubrick. La Favorite emprunte d’ailleurs l’esthétique de ce dernier mais dispose néanmoins de son identité formelle propre qui est plaisante sur certains moments et plus agaçante sur d’autres. Il est dommage que la sobriété générale du film soit régulièrement brisée par les expérimentations visuelles appuyées de Lanthimos. Les plans de grands angles assez récurrents ont souvent tendance à nous rappeler qu’il y a une caméra derrière tout ça, ce qui rend cette mise en scène assez superficielle en fin de compte.
Si les expérimentations formelles créatives se prêtaient bien au dérangeant Canine du même réalisateur, je les trouve moins adaptées sur un récit historique plus terre-à-terre dans ses enjeux. Cette esthétique est écrasante, l'artifice trop visible. On notera toutefois une photographie réussie aussi bien dans les plans extérieurs qu’intérieurs dont on reconnaîtra bien sûr l’influence de Barry Lyndon, notamment au niveau de l’éclairage. La rétine a tout de même le droit à sa dose de régalade et c'est tant mieux.
Quant au reste, je dois dire que je m’attendais à plus corrosif et plus fou de la part du réalisateur. On retiendra bien sûr le personnage de la reine Anne, figure dramatique désolée et manipulée, symbole d’une fragilité intime malmenée par les affres du pouvoir. Olivia Colman n'a d'ailleurs pas du tout volé son oscar pour son interprétation du rôle le plus étoffé du film, celui d'une femme qui passe par tous les états et ne se remettra jamais de ses 17 grossesses ratées (!). Mais il manque toujours un petit quelque chose pour rendre le film plus palpitant, plus profond. Le bât blesse finalement plutôt au niveau du rythme. Le film a l’art de dresser des personnalités, surtout féminines, fortes et cruelles mais il ressemble davantage à une succession de scènes qui n’ont pas toutes la même envergure.
L’ensemble se fait toujours en cohérence avec un fil narratif clair et une ironie satirique appréciable mais des passages plus marquants se mêlent à d’autres séquences plus longues et anodines. Il y a d'un côté un réel plaisir à suivre ces intrigues de cour mais il y a aussi un certain manque d’intensité qui se ressent au fur et à mesure que le récit avance. Et c’est bien dommage vu le matériau de base qui pouvait nous laissait croire à un film plus percutant que ça. C'est une oeuvre qui a ses qualités et qui est intéressante dans l'ensemble, ce qui fait qu'elle se suit avec plaisir, mais la prétention de la mise en scène ne plaide pas toujours en sa faveur. En conclusion un film baroque qui ose sur bien des aspects, qui sait filmer le dégueulasse et le débordement mais qui manque cependant cruellement de finesse.