L’Histoire est toujours racontée par les vainqueurs. Cette maxime vaut pour les hommes, tant les déjà rares interventions féminines ont été occultées des manuels, minimisées ou salies à outrance par des générations de chercheurs en Histoire.
Yórgos Lánthimos rend ainsi hommage à trois femmes majeures de l’histoire moderne de l’Angleterre : la Reine Anne, Sarah Jenning qui gouvernait de fait et la cousine de cette dernière, Abigail Hill.
A force de travellings non linéaires, de panoramas déformés façon œil de poisson, de bruits de fond lancinants (la musique oscillant entre morceaux baroques, coups de feux et musique ultra-minimaliste), le réalisateur crée une tension qui s’ajoute à celle vécue par les personnages. Le scénario, lui, est entrecoupé de dialogues incisifs et teinté d’humour noir. L’humour de situation n’est pas en reste à travers les us grotesques de l’aristocratie et les mœurs rudes voire méchantes des serviteurs. Si l’on veut retrouver un parallèle avec un film relatant une époque proche de celle-ci, dans sa partie baroque, on pointera l’inaltérable Amadeus de Miloš Forman. Dans sa conception de la royauté, La folie du Roi George, de Nicholas Hytner.
L’histoire nous est ainsi présentée sans concession ni mièvrerie, comme c’est hélas trop souvent le cas dans les reconstitutions historiques, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de ce film. De fait, Lánthimos ne nous a jamais habitués à des épanchements émotifs à travers ses films mais plutôt à un réalisme au scalpel. Les trois femmes qui se répondent dans cette œuvre ne sont ni victimes ni bourreaux, juste des hommes comme les autres.
Revenons maintenant à l’Histoire : on peut reprocher à La favorite un parti pris anachronique. Jusqu’à preuve du contraire, toute œuvre artistique touchant à l’Histoire est, par définition, anachronique : il est strictement impossible de rendre compte fidèlement des faits qui se sont produits, a fortiori quand on les romance. Du reste, des événements historiques, depuis la Grèce antique, ont servi à exprimer des propos contemporains. Ainsi, la Reine Anne était-elle homosexuelle ou bisexuelle ? Rien ne l’atteste. Rien ne l’infirme non plus. Comme dit plus haut, l’Histoire ayant été racontée par des générations d’historiens non analytiques, ancrés dans leur condition sociale de mâles blancs hétéronormés, toute trace d’homosexualité, a fortiori féminine, a été savamment balayée pour ne pas perturber le bon peuple et les têtes blondes à éduquer.
La force de Lánthimos, outre ses prouesses visuelles, la virtuosité de ses images et sa parfaite direction d’actrices, outre le jeu sans faille des trois interprètes principales de ce film (dont Olivia Colman qui est prodigieuse), c’est précisément de rendre compte du climat d’une époque en osant le pari de l’anachronisme, tout en universalisant le propos.
Soyons de bon compte : Shakespeare, Anouilh et Camus ont-il agi autrement ?