Carton surprise outre-Atlantique, que l’on doit à l’habituée Blumhouse Production (devenue spécialiste du film à petit budget qui explose le box-office), "Get out" se voit précédée d’une très flatteuse réputation. "Sommet de terreur", "premier film d’horreur antiracisme"," premier grand film dénonçant l’ère Trump"… difficile de faire plus prometteur ! Mais, au final, que vaut vraiment "Get out" ? A mon sens, pas ce que l’on en dit ! Certes, d’un point de vue formel, le film est visuellement travaillé, sait soigner son rythme et se ménage un certain nombre de séquences terriblement évocatrices
(la fameuse séance d’hypnose et son gros plan désormais iconique sur les yeux larmoyants du héros Chris, le pétage de plomb de l’étrange Logan suite à son saignement de nez, l’attitude étrange des employés de maison des Armitage, la perturbante séquence d’enchères…)
. Certes, encore, le casting est épatant puisque, outre l’excellent Daniel Kaluuya qu’on est ravi de voir décrocher son premier grand rôle au cinéma (après avoir fait forte impression dans la série "Black Mirror"), on retrouve une Allison Williams impeccable en petite amie trop parfaite, une Catherine Keener glaçante en psy, un Bradley Whitford épatant d’ambiguïté, le trop rare Caleb Landry Jones en frère barré, un Lil Rel Howery amusant, un Stephen Root intrigant en mystérieux aveugle…
sans oublier Keith Stanfeld, Betty Gabriel et Marcus Henderson en victimes flippantes des expérimentations de la famille Armitage
. Et certes, enfin, le travail d’ambiance est réussi puisqu’on ressent bien le sentiment d’isolement quasi-irrationnel du héros et qu’on se retrouve parfois à mi-chemin entre David Lynch et "La Quatrième Dimension"
(voir, par exemple, la scène où Chris fait face à une télé qui s’allume pour lui annoncer les événements à venir).
Malheureusement, "Get out" souffre, également de deux problèmes majeurs qui me paraissent, un peu oubliés dans les couronnes de lauriers qui lui sont dressés. Le premier problème est le traitement du racisme. On comprend bien que le réalisateur Jordan Peele a voulu faire un film contestataire, censé donner la parole aux Noirs oppressés par les Blancs, ce qui, dans l’Amérique post-Obama devenue Trumpienne, pas encore remise des différentes bavures policières de ces dernières années, peut avoir du sens. Était-ce une raison pour se livrer à une vision aussi manichéenne des Blancs qui sont, tous sans exception dans le film,
des salauds aux réflexes esclavagistes (via l’asservissement des Noirs) mais qui, d’un autre côté, les admirent pour leurs capacités physiques (au point de vouloir s’emparer de leurs corps)
. La caricature raciale n’est pas exclusivement réservée aux Blancs, du reste, puisque dans "Get Out", les Noirs sont soit des jeunes artistes qui se la jouent cool à coups de "Yo", "Frangin" et autres checks, soit des gros qui servent de comique de service ! Dans le genre "stéréotype", on fait difficilement pire… de sorte que je comprends mal comment "Get Out" peut se revendiquer comme un film "progressiste" ! Pourtant, tout commençait de façon plutôt subtil avec le héros black peu à l’aise en présence de Blancs, l’intervention musclée de la fille lors d’un contrôle de police au faciès (comme écho aux bavures policières), ce père bienveillant mais maladroit qui ramène sans cesse le petit ami de sa fille à sa couleur de sa peau (en évoquant Obama notamment), l’accueil trop chaleureux pour être totalement crédible… L’amorce de l’intrigue laissait d’ailleurs, présager, une évolution et une résolution spectaculaire, où se mêlerait paranoïa, perturbations de l’esprit et tensions raciales latentes. Il n’en sera malheureusement rien, le metteur en scène ayant opté par quelque chose de beaucoup plus terre-à-terre… quitte à faire dans le mauvais goût. Car, et c’est le deuxième problème majeur du film, rien de ce qu’on voit à l’écran n’est soumis à appréciation ou à interprétation du spectateur, ce qui, dans un film où l’hypnose a une place prépondérante, est tout de même très étonnant. J’étais, pour ma part, persuadé que le héros était, en fait, victime
de ses propres démons intérieurs (peur des blancs, traumatisme d’enfance, tension due à la rencontre avec la belle-famille…) suite à la séance d’hypnose subie
et que le film s’achèverait sur
son réveil ou, à tout le moins sur un massacre provoqué, même involontairement, par cette séance (et, donc, par les Blancs)
, ce qui, d’un point de vue métaphorique, aurait été assez fort ! La bizarrerie (et le manichéisme) de ce qu’on voit à l’écran semblait plaider en faveur d’une telle évolution. J’ai, donc, été assez stupéfait de constater que Jordan Peele soit aussi premier degré dans son approche et, plus encore, dans la résolution de son histoire. Le coup de
l’échange des corps
fait franchement ficelle scénaristique de série B et tranche avec le ton beaucoup plus onirique et hors du temps qui prévalait jusque-là. Et ne parlons même pas de la grosse erreur du film, à savoir
son happy end
!!! Outre son côté franchement too much et malvenu, cette fin est, surtout, mille fois inférieure à celle initialement prévue
(et bien plus sombre)
qui aurait, à tout le moins, eu le mérite de la cohérence du propos
(les Noirs étant, quoi qu’il arrive, victimes des Blancs)
. "Get Out" est donc, à mon sens, particulièrement surestimé quant au message qu’il est censé adressé au public et peut, tout au plus, être considéré comme un film communautariste et vindicatif qui crie sa colère contre "l’oppresseur" (et non comme un film antiraciste). Ces précisions étant faites, je reconnais, sans peine, que j’ai plutôt apprécié le film, non pas pour ce qu’il prétend être mais pour ce qu’il est : un film d’ambiance réussi, qui propose quelque chose de différent dans le genre thriller horrifique (pas de fantômes, pas d’exorcisme…) et qui peut compter sur une mise en scène rythmée, des images fortes et une interprétation solide. S’il n’y avait pas ses dérapages dans le dernier tiers, on pourrait croire que Jordan Peele est de la trempe d’un M. Night Shyamalan en forme… Il pourrait nous surprendre à l’avenir s’il sait se montrer moins caricatural.