Avec sa première réalisation, Get Out, un thriller horrifique, Jordan Peele traite de l'asservissement avec retenue (et tout en tempérant son propos), essayant par là même de dédramatiser son discours par l'intermédiaire de l'humour. En cela, nous pouvons soutenir que Get Out est aux antipodes de 12 Years a Slave film de Steve McQueen sorti 4 ans auparavant, dans lequel nous est exposée l'époque de l'esclavage avec violence et sans concession. L'idée du réalisateur est donc de vouloir rendre compte de la gravité extrême de l'esclavage et du désastre qu'il représente tout en modérant son approche (choisissant une approche plus légère, du moins en apparence) sur le sujet pour ne pas réaffirmer ce qui est déjà acquis. Chris, le héros est emmené pour le week-end à la maison des parents de sa petite-amie, Rose (interprétée par la talentueuse Allison Williams), une famille bourgeoise blanche qui ignorait que leur fille fréquentait un homme noir. En butte d'abord à des vexations et des railleries aux relents racistes, la menace deviendra plus explicite quand Chris deviendra la cible de ceux-là mêmes qui l'ont accueilli à bras ouverts en premier lieu. La prestation sensationnelle de Daniel Kaluuya, dans le rôle de Chris, ajoute beaucoup au personnage et au film. Jordan Peele, le réalisateur, est aussi un acteur spécialisé jusque-là dans le genre de la comédie. Loin de renier cette spécialité, il s'en sert pour donner à son thriller horrifique, une singularité originale. Il fusionne la tension classique propre au thriller (notamment par l'intermédiaire de ses gros plans sur les visages des personnages, créant ainsi une intimité déconcertante par moment) avec une bonne humeur, presque ''feel-good'', portée par les ressorts comiques de l'histoire et les personnages secondaires avec une mention spéciale pour Rod, l'ami de Chris. Le danger croissant et l'aspect choquant du métrage vont de pair avec l'humour caustique/acerbe qui permet de contrebalancer l'épouvante de la situation dans laquelle le protagoniste est plongé, sentiment d'épouvante accentué par l'esthétique minutieuse et la photographie de Toby Oliver aux nuances variées : terne lorsque le personnage est en compagnie de la famille car celle-ci représente une menace (implicite puis explicite), et lumineuse quand il est en sécurité et seul, principalement au début du film. Le travail sur la pellicule est d'autant plus admirable qu'il est au service du fond de l'histoire car Chris est photographe. De plus, certains plans évoquent le cinéma de David Lynch et son expertise dans le contraste du clair/obscur, la scène du ''gouffre de l'oubli'' n'est donc pas sans rappeler la série Twin Peaks ou le film Mulholland Drive dont Lynch est le réalisateur. La bande originale signée Michael Abels contribue elle aussi à la montée de l'angoisse, surtout le thème principal intitulé ''Sikiliza Kwa Wahenga'' (en Swahili) que nous pourrions traduire par ''Cours, cours'', la forme est au service du fond à nouveau.
Les enjeux de ce film ne sont pas seulement esthétiques, Jordan Peele veut de toute évidence amener le spectateur à réfléchir sur des thèmes politiques, raciaux, idéologiques. Il s'agit de thèmes importants pour le réalisateur, en particulier le racisme et les tensions raciales aux États-Unis. La délivrance de ce propos dur et sérieux va de pair avec des éléments fantastiques (séance d'hypnose) dont la fonction première est d'équilibrer le choc du sujet avec la fiction et secondement de nous faire prendre du recul sur ce que nous voyons à l'écran. L'esclavage est au centre du long-métrage. Par exemple, dans la scène où Chris parvient à se libérer du fauteuil auquel il est attaché, en se servant de boules de coton qu'il réussit à placer dans ses oreilles pour échapper au son hypnotique qui est sensé l'endormir, Peele fait du coton - qui était l'une des causes de l'esclavage - l'élément clé qui permet sa libération alors qu'il était l'objet même, la raison, pour laquelle tant de personnes noires ont été tenues prisonnières durant des décennies. Ironie de l'Histoire et message politique... En conclusion, et afin de donner un avis sur Get Out, il s'agit d'un très bon film qui m'a secoué dès le premier visionnage. Son rapport fort à l'Hisoire mais aussi à l'actualité (tourné sous la présidence de Barack Obama mais sorti sous le mandat de Donald Trump) appelle à la réflexion. En ce qui concerne le racisme et la science, quelles sont les limites ? Jordan Peele nous livre une oeuvre unique en son genre, dans laquelle le décalage entre le fond et la forme surprend mais ne laisse pas indifférent et c'est en cela que ce film se démarque des autres thrillers, provoquant autant le rire que le frisson. Cela crée un mélange des deux genres qui nous donne... Get Out.