Il y a des jours où on se dit qu’on aurait mieux fait de ne pas aller au cinéma ce jour-là. Non pas parce que je n’ai pas trouvé le film inintéressant (auquel cas ma note serait totalement contradictoire), mais parce que quand on a à supporter toute une ribambelle de jeunes gens indisciplinés qui ne respectent rien en parlant à haute voix, en circulant librement dans la salle, en riant à gorge déployée parce qu’ils se racontent des conneries entre eux, à lever les bras et en tripotant sans arrêt leur téléphone portable, on ne peut rentrer totalement dans l’ambiance particulière de "Get out". Du coup, j’avoue être un peu passé à côté du sujet. Et je suis un peu déçu de ne pas avoir pu profiter pleinement de ce scénario plutôt inventif. Tout commence par une scène pré-générique, dans "un quartier chic et flippant" pour reprendre les mots de celui qui apparait à l’écran : il fait nuit, l’inconnu marche tranquillement dans la pénombre entourant ce quartier résidentiel labyrinthique à l’éclairage discret, lorsqu’un véhicule (une Porsche 944 ou apparentée, dite aussi "la Porsche du pauvre", mais une Porsche tout de même) vient à contre-sens, s’arrête, puis fait demi-tour pour s’arrêter à sa hauteur. Il se passe ce qui se passe et nous passons à autre chose de but en blanc, dans un tout autre décor. L’ambiance est légère et décontractée, rien n’annonce ce qui va suivre. Mais peu à peu, alors que le jeune couple arrive à peine dans la somptueuse propriété des Armitage, on sent tout de suite qu’il y a quelque chose de pas net. En dépit d’une longueur moyenne avec ses 144 minutes, le réalisateur Jordan Peele prend son temps pour mettre en place toute cette multitude de petites choses
(avec en prime une subtile intégration d'une question d'éthique : celui de la manipulation du cerveau (dans tous les sens du terme))
pour dessiner son intrigue et faire ressentir au spectateur ce que le personnage traverse. Cela passe par une bonne maîtrise du cadrage, avec ce gros plan sur les chaussures de Chris qui pénètre non sans inquiétude dans la forêt, ou avec ce plan lointain sur le véhicule avec l’apparition du jardinier en tout premier plan et à moitié hors champ. Sachant que le spectateur est venu chercher ce qui était annoncé, c’est-à-dire la peur, Jordan Peele joue très rapidement avec les nerfs du public. Au gré de la découverte et de l’évolution des membres du club Armitage, les mystères s’épaississent, perceptibles chez certains personnages, inquiétants chez d’autres, et enfin carrément insoupçonnables encore chez d’autres. Et la tension monte crescendo. Doucement mais sûrement. Irrésistiblement. Parce que mis à part Chris Washington (et de quelques autres), l’ambiguïté de chaque personnage nous met mal à l’aise, au même titre que le personnage principal. L’aménagement de cette ambiance malsaine est remarquable, car elle est impalpable. Dans cette maison, de qui faut-il se méfier ? Qui est digne de confiance ? Qui ne l’est pas ? Devenons-nous paranoïaques ? Tout est fait pour mettre en confiance Chris, mais comme je vous l’ai dit, il y a comme une odeur nauséabonde qui plane. Et elle dérange. Pourtant, le cinéaste utilise tous les codes connus du genre. De ce côté-là, c’est sans surprise et classique. Même les jump scares sont présents, mais à dose homéopathique. Et ils sont efficaces car inattendus. Et ça fonctionne. Et ça fonctionne bien. Et si ça fonctionne aussi bien, c’est parce que Jordan Peele a su brouiller les pistes entre la réalité et les rêves. C’est ainsi que la réalité prend des airs d’imaginaire, et les rêves semblent réels. Cela parait compliqué dit comme ça, mais n’ayez aucune crainte : tout deviendra clair. C’est même limpide. Si Jordan Peele est arrivé à un tel résultat, il le doit aussi aux comédiens. Ils sont tous bons en fait. Bradley Whitford impose son regard puissant pour donner une force éclatante au regard de Dean Armitage. Catherine Keener est beaucoup plus subtile, mais donne une présence folle à Missy Armitage. Leur charisme est tel qu’on ne voit pas quel autre comédien on aurait pu choisir pour leur rôle respectif. Caleb Landry Jones joue très bien le dégénéré qui a du mal à se contrôler, à la limite de la caricature. Allison Williams est propre dans son interprétation. Quant à Daniel Kaluuya et Lil Rel Howery, ils remportent ma mention spéciale. Le premier parce qu’il réussit à rendre son personnage éminemment empathique. Et puis je suis toujours admiratif de voir un comédien parvenir à verser des larmes quand il le faut. L’autre parce qu’il amène un humour irrésistible. Pas dans sa façon de faire, mais plutôt dans ses répliques aux allures très naturelles de spontanéité. Le fait est que 2017 continue à s’inscrire dans la révélation de nouveaux jeunes talents à la réalisation. C’est donc un premier essai très réussi pour Jordan Peele (également scénariste et producteur), qui mérite bien au minimum un 4/5, mais peut-être vaut-il un peu plus. En attendant, il ne reste plus qu’à transformer cet essai.