Aaaah, le voilà donc ce petit thriller horrifique qui a tourné en véritable phénomène chez nos amis d'outre-Atlantique jusqu'à rafler 206 millions de dollars pour un budget "riquiqui" de 4.5 millions ! Forcément, une telle formule magique, un tel exploit d'un film de genre au box-office ne peut faire frétiller le tiroir caisse que d'un seul homme : Jason Blum. Bingo, "Get Out" est effectivement une énième production du grand manitou américain spécialisé dans l'horreur/épouvante à petit budget pour un max de rendement mais, attention, et chose rare, cette fois, la donne avait de sérieux bagages pour nous interpeller.
Non seulement, en allant se promener sur le terrain du racisme quotidien, ce long-métrage de Jordan Peele promettait d'être un des premiers films symptomatiques d'une Amérique Trumpienne qui se marche sur la tête quant à sa mixité ethnico-sociale sur laquelle elle repose mais "Get Out" pouvait en plus se targuer d'être une proposition différente d'un cinéma de genre commercial US qui a fait du "creux" sa marque de fabrique (apparemment, et si l'on excepte bien sûr quelques rares cas, pas mal de monde avait oublié que certains grands classiques se sont imposés en dénonçant nos dérives sociétales). Ajoutons à cela une hype sans précédent dans l'histoire des productions Blumhouse avec ce score dément de 99% sur Rotten Tomatoes et, bim, "Get Out" allait passer en tête de liste des priorités pour tout bon fan du genre qui se respecte.
Quelques mois après les États-Unis, le film déboule donc dans les salles françaises et, autant le dire, on en salivait partout des hectolitres de bave par avance...
"Ne te fais pas de souci, mes parents ne sont pas racistes !"
Rose a beau tenter de rassurer son petit ami Chris, ce dernier flippe un peu à l'idée d'aller rencontrer ses futurs beaux-parents. Il faut dire qu'ils habitent dans une banlieue chic typiquement américaine où les rares afro-américains comme lui n'exercent que des tâches de subalternes.
Mais ses doutes sont très vite levés au vu de l'accueil plus que chaleureux des parents de Rose. Enfin, dans un premier temps, car, à bien y regarder, au milieu de certaines remarques tendancieuses et de comportements suspects, il pourrait bien se tramer quelque chose de complètement dingo...
Pour mieux parler de "Get Out", évoquons une autre franchise made in Blumhouse basée elle aussi sur nos maux sociétaux : "American Nightmare". On a souvent reproché aux trois films de cette saga de ne jamais parvenir à pleinement exploiter leur concept de départ pourtant prometteur (une tuerie annuelle à grande échelle pour régler le problème de la pauvreté). De ce fait, le spectateur, déçu, a souvent fantasmé sur ce qu'aurait pu donner une utilisation parfaite de cette idée explosive sur grand écran.
En gardant cela en tête, imaginez qu'un beau jour, un éventuel "American Nightmare 4, 5, 6,..." déboule en allant enfin jusqu'au bout de son potentiel et vous propose enfin exactement ce que vous en attendiez. Ce serait forcément plus que satisfaisant. Mais aussi quelque part décevant car le film en deviendrait bien trop prévisible, sans le moindre effet de surprise.
Et bien, voilà, découvrir "Get Out" revient un peu à avoir le même sentiment dans une version accélérée que devant cet "American Nightmare" rêvé.
Croisement improbable entre "Devine qui vient dîner" et "Les Femmes de Stepford" mais aussi avec un zeste du premier "American Nightmare" pour la génération actuelle (avouons-le, l'allusion ci-dessus n'était pas si innocente que ça avec ce détournement tout en violence de l'image d'Épinal de la banlieue chic américaine que partage les deux films), "Get Out" pousse son concept initial jusqu'à son paroxysme pour dénoncer habilement à la fois le racisme bien évidemment exacerbé qui gangraine l'Amérique mais aussi celui plus insidieux qui, sous couvert de la meilleure volonté, cache en fait les idées préconçues les plus nauséabondes.
Impressionné par sa capacité redoutable à mener le film sur ces deux fronts, on ne pourra pas opposer à Jordan Peele d'avoir probablement trouvé le meilleur écrin horrifique pour envoyer une charge politique furieuse, intelligente et non dénuée d'humour lorsqu'elle est confrontée à la plus infâme des situations. De même, l'écriture du personnage principal et de ses failles (renforcée par un génial Daniel Kaluuya) mérite elle aussi d'être couverte d'éloges tant elle se fond avec raison et subtilité de l'ensemble.
Néanmoins, aussi futé soit-il, et c'est le pire des paradoxes, "Get Out" est horriblement prévisible pour dérouler la folie apparente de sa thématique principale. Trop rapidement dévoilée (ou devinée) après le passage de la première nuit du couple dans la résidence familiale, la teneur du mystère ne suffit plus à masquer la conduite bien trop facile d'une histoire qui se contente d'aller d'un point A à un point B en enfilant les twists fatigués du genre jusqu'à provoquer un truc qu'on ne s'attendait franchement pas à ressentir : l'ennui. On sombre ainsi dans une routine déroutante dans la deuxième moitié du film -parasitée en plus par un point de vue extérieur trop encombrant- qui sera heureusement rompue in extremis par un quart d'heure final se parant enfin d'une heureuse (et vraie) folie imprévisible en osant sortir de ce chemin tout tracé pour une idée somme toute géniale.
Cette bizarrerie de banalité dans un film dont l'essence même est une intelligente originalité est néanmoins transcendée par la réalisation complètement maîtrisée de Peele. Ok, le film atteint très (trop ?) vite les sommets de son climax inquiétant avec cette séquence de la première nuit que l'on évoquait plus haut et il aura ainsi peut-être du mal par la suite à nous en mettre autant plein la vue mais cette petite ambiance sera toujours bel et bien présente et soutenue par cette imagerie d'une certaine Amérique que Peele aime malmener dans tous les sens avec une réussite formelle constante. Soulignons aussi l'excellente bande originale de Michael Abels qui fait aussi une part importante du job pour instaurer une atmosphère oppressante à couper au couteau.
Un réalisateur est donc né, il est venu développer astucieusement un propos pertinent sous couvert de thriller horrifique estampillé Blumhouse (chapeau, le bougre !) et il nous a livré un "Get Out" plus que sympathique.
Un peu handicapé par cette non-prise de risques dans la conduite d'un récit lui-même risqué, on ne dira pas que le long-métrage parvient à égaler sa réputation sans doute trop grande pour lui mais il ne lui fait pas honte, loin de là même, en se plaçant au-dessus de la mêlée de bon nombre de ses confrères grâce à son intelligence, son actualité, son ambiance et bon nombre d'autres qualités.
"Get Out" ne mérite pas dégager de nos salles de cinéma avant un bon moment.