LA DANSEUSE reste un film agréable, avec certaines scènes fortes, sensibles, oniriques, virevoltantes, portées par le charisme de l'actrice principale. Toutefois, il accuse une certaine irrégularité et perd un peu en crédibilité sur la fin. La prestation de Soko est remarquable mais sur la fin le personnage est exagéré dans ses grimaces. Le fait qu'elle soit lesbienne est trop escamoté par rapport à sa bio. Certes, elle fut mariée (ce qui n'apparaît pas ici) avec ce colonel, incarné par Gaspard Ulliel, dandy polygame (dont le jeu susurrant et l'allure de vampire finissent par devenir irritants). Malgré tout, cette relation était vécue sous influence financière et n'a duré que trois ans (1889-1892) avant que Marie-Louise alias Loïe file vers ses amours lesbiens. Utiliser par conséquent la rencontre avec Isadora Duncan, qui n'a véritablement éclipsé Loïe Füller sous les feux de la rampe que dix ans plus tard (1902), pour montrer qu'elle aime les femmes (et au passage pour y placer Miss Depp), sans oser aller plus loin, non seulement c'est mal amené, mais de plus d'un anachronisme abscons. Lily-rose Depp a l'air très gracieuse mais, côté expressivité du caractère, c'est pas encore ça. Isadora semble passer en coup de vent, alors que Loïe a contribué à la rendre connue; ce traitement trop superficiel peine vraiment du coup à rendre crédible l'état dans lequel plonge Loïe.
En effet, Loïe n'a pas souffert tant que ça; on dirait qu'elle est à deux doigts d'y passer (hagard, boulimique, les yeux injectés de sang) alors qu'elle a quand même vécu jusqu'à 66 ans, épanouie et bien entourée!
Comme s'il fallait en faire des tonnes pour acquérir plus de force, le scénario (Stéphanie Di Giusto... d'après Giovanni Lista) prend le parti du concept de la souffrance qui mène au succès, jusqu'à introduire des scènes tirées par les cheveux, complètement romancées: il se révèle rédemptionniste (on voit une fois Marie-Louise inspirée en lorgnant sur une croix; par la suite on dirait un ange au milieu de l'enfer) ce qui, par effet excessif, finit à la fois par écœurer et par nuire à la véracité du portrait. C'est regrettable car sans ce parti-pris doloriste, sans ce traitement maladif des personnages, sans toute cette exagération décalée (et sans cette Isadora qui n'apporte rien de fondamentalement intéressant), il serait resté le portrait d'une ascension remarquable et d'un caractère hors-normes, allié à de sublimes scènes, certaines d'une rare élégance, ce qui aurait suffi à rendre l’œuvre attachante. Côté acteurs, François Damien offre une prestation très moyenne, alors que le jeu de Mélanie Thierry sonne très juste.