Enigmatique projet que le nouveau film de François Ozon. Dans la plus grande discrétion, le réalisateur sort, à peine deux ans après Une nouvelle amie, Frantz, drame historique en noir et blanc mené par Pierre Niney et la quasi-inconnue Paula Beer. Le duo marche à merveille et le film s'avère être une belle romance, émouvante, symbole d'une époque charnière entre deux évènements funèbres pour l'Europe et l'Histoire. Car dans Frantz semble retentir la chanson de Barbara, Göttingen : « S'il fallait reprendre les armes, mon cœur verserait une larme pour Göttingen ». Dans ce remake d'Ernst Lubitsch (Broken Lullaby, adapté d'une pièce de Maurice Rostand), Ozon montre avec beaucoup de sensibilité que la guerre ne se résume pas qu'à tuer un ennemi, mais laisse derrière des morts et des remords, les mêmes rancoeurs et les mêmes larmes pleurées, quelque soit le côté dans lequel on se trouve. De superbes séquences post-1ère Guerre Mondiale exposent avec beaucoup de poésie toute la reconstruction (matérielle et humaine) à laquelle la France et l'Allemagne furent confrontés après 1918 (puis après 1945), tout en questionnant la notion de pardon. L'histoire principale, la relation entre Adrien et Anna, tient aussi la route, abordant
l'amour impossible
sans tomber dans certaines facilités scénaristiques, mais sans non plus bousculer les codes contemporains des drames français. Pierre Niney (qui dialogue même en allemand selon certaines scènes) est comme un poisson dans l'eau avec le côté très théâtral de la direction d'acteur d'Ozon. Côté allemand, Paula Beer est étonnante, alors que le duo parental (Ernst Stötzner/Marie Gruber) amène une certaine mélancolie appréciable grâce à leurs regards bienveillants et sympathiques. Par son sens du cadre, un noir et blanc très léché et une photographie soignée, l'esthétisme de Frantz laisse percevoir aussi quelques beaux plans de cinéma. Notons aussi qu'une recherche dans le soin des costumes a été effectuée.
Pourtant, quelque chose manque à ce film pour lui donner une toute autre dimension. Peut-être que son déroulé et sa mise en scène classique clochent avec la réalisation tant appréciée de François Ozon. Non pas que « classicisme » et « François Ozon » ne collent pas (on avait d'ailleurs apprécié le classicisme mis au service d'un hommage à Jacques Demy dans 8 Femmes), mais ce qui est appréciable avec Ozon c'est sa faculté à toujours distendre son sujet pour créer un propos neuf et voué à une réflexion. Avec Frantz, on a l'impression que le réalisateur s'établit dans une zone de confort qui ne lui conviendrait pas, une zone où il mettrait en scène un drame historique, presque linéaire et sans réelle passion. Au point de vue esthétique et visuel, on retrouve quelques similitudes avec Le Ruban Blanc mais le résultat ne trouve pas la même intensité et la même sincérité que le film d'Haneke. Ces passages du noir et blanc à la couleur selon les émotions ressenties par les personnages font aussi partie d'un effet de mode, de ces facilités dans lesquelles le cinéaste aurait pu éviter de tomber. Le film, très verbeux, suit en plus un rythme lent qui tend à classer Frantz dans la catégorie « clichés du cinéma d'auteur ». Dommage car les deux histoires (l'amour et la guerre), thématiques vénérées par la littérature classique, finissent par s’emmêler l'une avec l'autre, non sans accrocs, et perdent donc un peu de leur puissance initiale au fur et à mesure que le film avance. Le problème n'est pas que l'histoire qui nous est racontée n'a plus d'intérêt, mais simplement que l'intrigue initiale finit par se disperser dans un contexte qui aurait pu prendre n'importe quelle apparence.
Frantz s'avère donc être une sympathique romance, portée par Pierre Niney et Paula Beer, véhiculant un message pacifiste louable et emplie de sensibilité. Dommage que l'écriture parfois simpliste et la réalisation très sage de François Ozon ne transcendent pas ce sujet qui aurait pu laisser place à plus de libertés cinématographiques… Quitte à prendre le risque de diviser son audience.