1919. L’après-guerre. Le souvenir des boucheries et des tranchées est encore proche, vivace. Les tranchées, les obus, les fusils, on ne les verra qu’une seule et unique fois dans ce film émouvant et captivant. Une seule scène certes, mais qui marque le moment le plus important, le point culminant, le climax. Qui survient, comme de coutume dans tout bon scénario, en plein milieu du film. Car le scénario, il est bon, bien construit, limpide (comme l’eau dans laquelle se baigne Adrien/Pierre Niney, dans une autre scène cruciale du film). Une construction en miroir, où la deuxième partie répond à la première. Une symétrie presque parfaite. Car il existe bien entendu des différences entre les deux, sinon à quoi bon ? On assiste ici à la confrontation de deux mondes. Deux cultures s’affrontent. Indirectement, par personnages interposés. Mais - et c’est l’une des réussites du film - ce ne sont pas tant les différences que les points communs qui sont mis en avant. De manière troublante. Un peu comme si l’on assistait aux prémices d’un rapprochement que l’on croyait impossible, mais que l’histoire (et l’Histoire) confirmera. Les parallèles entre ces deux univers sont nombreux. Comme par exemple les deux scènes où les hommes entonnent des chants martiaux (dont la Marseillaise) autour d’une table de bistrot. Ou bien ces voyages qu’accomplissent les deux personnages entre leurs pays respectifs. Ce sont autant de liens qui rapprochent, au lieu d’éloigner. « Frantz » et « France », c’est assez proche, vous ne trouvez pas ? Croyez-moi, l’histoire est ici magistralement contée. A la manière des meilleures tragédies antiques.
Comme le prouve aussi cette atmosphère de mystère et d’ambiguïté qui règne dès le commencement du film. Cette ambiguïté qui nous fait dire : « Ah ben oui, c’est probablement pour ça que le personnage ne peut pas complètement se dévoiler ! C’est impossible ! » « Ben non, justement, ce n’est pas du tout à cause de ça », a dû se dire le réalisateur en écrivant, tout en se régalant à l’avance de l’effet produit. Ce même réalisateur qui dès le début nous a conduits sur une fausse piste. Qui nous a roulés dans la farine. Nous a amené là où il voulait qu’on aille. C’est lui qui a le pouvoir. Il est tout puissant. C’est lui tient la plume.
Les oppositions, les contrastes que j’évoquais au tout début de cet article, on les retrouve également dans le traitement de l’image, où le noir et blanc laisse parfois la place à la couleur, presque sans qu’on s’en aperçoive, tant la transition est douce et naturelle. Une couleur assez pâle qui semble souligner quelques scènes clés ; ou bien illustrer certains moments de grâce, où les souvenirs de la guerre s’estompent. J’ai essayé de trouver d’autres significations à cette utilisation parcimonieuse de la couleur, sans y parvenir ; vous ferez sans doute mieux que moi. Cette force du contraste ne vous rappelle-t-elle rien ? Un moment encore plus fort dans un autre film ? Vous souvenez-vous de cette scène inoubliable, de cette frêle et unique petite tache de couleur, perdue dans l’immensité du noir et blanc, qui focalise toute notre attention ? De cette petite fille anonyme tout de rouge sang vêtue, en plein holocauste ? Je vous laisse deviner. Ce n’est même pas la peine, vous avez déjà trouvé.
Venons-en alors aux deux principaux personnages joués par Pierre Niney et Paula Beer (dont vous allez encore entendre parler, je peux vous l’assurer !). Un Pierre Niney légèrement effacé, parfois absent, au sens propre comme au figuré (c’est son rôle qui veut ça). Une magnifique Paula Beer qui crève l’écran ! Mais discrètement, sans en rajouter. C’est autour d’elle que tourne tout le film. Et il tourne bien. Je n’ai pu m’empêcher, en voyant son jeu, de penser à Romy Schneider. C’est la même beauté, le même charmant petit accent allemand quand elle s’exprime en français. Le même pouvoir de séduction. Le même talent pour faire passer les émotions.
Bien entendu, on pourra trouver quelques défauts à ce beau film, mais je préfère ne pas les évoquer. J’ai déjà fait assez long, et puis d’autres s’en chargeront. Non, je préfère rester dans l’enthousiasme. C’est bien plus intéressant. Bien plus « positif ». Non, je ne parle pas de la revue ! :-
Voilà, j’espère que cette modeste critique vous donnera envie d’aller voir ce film que - vous l’aurez compris - j’ai beaucoup apprécié. C’est tout ce que je souhaite. Et c’est tout ce que je VOUS souhaite.