Superbe film, brillamment interprété, où la couleur affleure lorsque la vie revient, et où les faux-semblants sont vertigineux.
Car suis-je le seul à avoir compris que... attention, immense spoiler...
Adrien est rongé par la culpabilité de ses propres sentiments et anéanti par l'amour qu'il a été contraint de détruire, pas par celle de la mort qu'il a infligée à un ennemi (c'est la guerre, après tout...).
Il est tombé fou amoureux de Frantz lorsqu'il l'a surpris dans sa tranchée, d'où une superbe scène où le souffle d'une explosion (métaphore du coup de foudre) le projette sur le corps du soldat qu'il vient de tuer, et dont il caresse le visage et les lèvres avec sensualité et passion.
Écoutons-le ensuite : "Ma seule blessure, c'est Frantz", "Comment pourrais-je l'oublier ?", "C'est lui qui me fait souffrir", etc.
Le récit de leurs aventures parisiennes (visites au Louvre, balades sous les arcades, leçons de violon - c'est donc si sensuel de rectifier un coup d'archet...? - soirées dansantes où les regards se croisent), c'est le pur fantasme de leur relation rêvée, de celle qu'il aurait voulu, inconsciemment ou non, vivre avec son ami Frantz.
En fait, Adrien se reproche moins d'avoir brisé la vie d'un fils et d'un fiancé que d'avoir été obligé de tuer son seul véritable amour (ou d'avoir tué en lui le sentiment qu'il a éprouvé pour un autre soldat, ennemi de surcroît).
Enfin, ce "garçon fragile", comme le dit si bien sa mère possessive et autoritaire (Freud, qui écrit à la même époque, se serait régalé) épouse la sœur très masculine (elle s'habille à la garçonne, avec cravate et pantalon) de son meilleur ami d'enfance, mort à la guerre, qu'il dit, avec une brisure dans la voix, avoir "beaucoup aimé". N'en jetez plus...
La pauvre Anna croit que le meurtrier de son fiancé ne pourra jamais l'aimer en raison de sa culpabilité, bien qu'elle ne cesse de lui pardonner, alors qu'il ne pourra jamais aimer que Frantz !
Là se trouve toute la force du film d'Ozon. Le réalisateur nous laisse croire qu'Adrien, éploré, inconsolable, venu de loin pleurer sur la tombe (vide) d'un ennemi, et qui s'évanouit en jouant sur le violon du disparu, pourrait bien avoir été l'amant de Frantz, puis nous révèle, lors de la scène nocturne du cimetière, le prétendu "secret" d'Adrien qu'on emporte comme un os à ronger, alors que le seul vrai "secret" du jeune Français est encore enfoui sous une couche de sédiments (de sentiments).
Et le réalisateur trouve encore le moyen de brouiller les pistes, en faisant dire à Anna, qu'Adrien tarde à embrasser : "Tu n'as donc rien compris !", alors que c'est elle qui n'a pas compris qu'il ne pourra jamais l'aimer, parce qu'il n'a jamais aimé que Frantz.
Bref, ce jeu de dupes est brillantissime, triste aussi, car ce malheureux Adrien ne pourra jamais retrouver son "ennemi adoré", pas plus qu'il ne pourra vivre avec lui la vie qu'il avait rêvée.