Qui de l'homme ou de l'animal domptent l'un ou l'autre ? La question est d'ores et déjà posée dès l'entrée du film, où le cheval, dit Caravage, apparaît dans une humanité presque fascinante. Le dialogue silencieux s'installe ainsi entre Bartabas, le fameux metteur en scène animalier, et son cheval magnifique, que l'on reconnaît parmi les autres au mystérieux tatouage qui couvre son flanc gauche et aux tresses de la crinière, étalées sur le cou. Pendant tout le long métrage, qui n'est finalement que la préparation lente, quasi sensuelle de l'étalon à un spectacle, où se mêlent la répétition des entraînements, les soins, les exercices, et les échanges de caresses et d'amour, Alain Cavalier fait figure d'intrus. L'on pressent le réalisateur assis sur son siège, l'œil vissé sur l'objectif, et la caméra, qui filme au plus près du pelage de l'animal, de son regard, comme on pourrait le faire d'une actrice d'ailleurs, constitue en quelque sorte l'œil du spectateur lui-même. Il s'installe alors une sorte d'intimité presque charnelle, entre le réalisateur confondu avec le spectateur, Bartabas et son Caravage. Alain Cavalier n'a plus rien à perdre, ni à gagner. Tous ses derniers films comme "Irène", "Pater", ou "Le Paradis", fabriqués à l'économie, vont à l'essentiel de son art. Il choisit l'intimité comme unique moteur de sa création, une intimité qui se fiche des flottements de la caméra, des flous de l'objectif, des travellings hasardeux, du son parfois artisanal, pour se centrer sur l'humanité qui se déroule entre lui-même, le réalisateur, le dresseur et l'animal, dans l'enclos feutré du cirque équestre ou du box. En fait, Cavalier fait le pari d'un cinéma ouvert au tout à chacun, se contentant d'une caméra rustique, d'un peu de musique, comme une invitation générale à cet art populaire de la trace animée. Pourtant, indépendamment des circuits financiers ou commerciaux, le cinéma, c'est bien autre chose et c'est là tout le drame de ce film, certes très beau, certes intéressant, mais qui ne va pas assez loin pour faire cinéma.