S'attaquer à l'adaptation d'une entreprise littéraire aussi complexe que celle d'Eoin Colfer n'est pas une décision facile. Et pourtant, c'est le défi que s'est lancé Kenneth Branagh et qui a donné lieu à Artemis Fowl, ce film d'aventure fantastique sorti le 12 juin 2020 sur la plateforme Disney+.
L'adaptation reprend l'intrigue des deux premiers tomes, les mêlant habilement pour qu'ils ne forment plus qu'une seule et même histoire et la complétant par de nouveaux éléments, tels que l'aspect central des légendes irlandaises dans la relation entre le jeune Artemis et son père et l'enlèvement d'Artemis Sénior par la fée maléfique, Opale Koboï. Un écartement du texte initial qui paraît certes risqué mais qui s'avère finalement être une réussite : la construction est exceptionnelle de justesse et donne au film une dynamique nécessaire. Les images sont spectaculaires : que dire du manoir des Fowl, campé près des flots impétueux de la mer d'Irlande et dont l'architecture magnifique recèle tant de secrets ? Ou encore de la fantastique cité d'Haven Ville rendue dans tout son foisonnement de créatures diverses et où lieux et objets technologiques, aux noms obscurs dans le livre, prennent forme sous nos yeux avec une parfaite vraisemblance ? L'histoire s'évertue à créer un pont entre ces deux mondes -celui des humains et celui des fées- que tout éloigne mais qui vont finalement être forcés de coopérer l'un avec l'autre. Parce qu'Opale Koboï ne lui rendra son père qu'en échange de l'Aculos (un artefact essentiel à la magie des fées), Artemis prend en otage un capitaine des FAR (forces armées de régulation) du monde féérique. Il s'agit du capitaine Holly Short avec qui il va au fur et à mesure du film nouer une relation de confiance, à l'image de l'amitié qu'entretenaient leurs deux pères.
Ce qui fait la force de ce film, c'est avant tout la formidable panoplie d'acteurs irlandais qui le compose. Ferdia Shaw transparaît dans ses gestes et paroles par son charisme et son intelligence, si bien qu'on imagine mal un autre incarner mieux que lui le personnage haut en couleur qu'est Artemis Fowl. Colin Farrell (Artemis Fowl Sénior) est plein de superbe dans son rôle de père à la fois tendre et attentif mais sait aussi s'entourer d'un aura fascinant de mystère lié à ses activités criminelles. Et comment ne pas saluer la prestation de Josh Gad (Mulch Diggums) qui, en se faisant narrateur de ce récit, ajoute tout ce qu'il faut d'humour décalé pour son accomplissement ? On pourrait certes s'étonner des libertés prises par le réalisateur, qui fait le choix de donner le rôle du commandant Root à une femme, annihilant ainsi tout le caractère machiste du personnage. Mais il est surprenant de se rendre compte que Judi Dench donne à voir un personnage tout aussi passionnant, balançant entre autoritarisme, sarcasmes et bonté. Le film peut alors laisser place aux sujets qu'il souhaite mettre davantage en avant : la proximité bouleversante entre Artemis et son père et l'incroyable intelligence de ce garçon de douze ans.
Le réalisateur a ainsi repris les personnages majeurs de l'histoire, relevant le pari de condenser les différentes intrigues des deux premiers tomes. Pour les connaisseurs d'Eoin Colfer, l'adaptation apparaît cependant plutôt édulcorée. Au début du film, le personnage d'Artemis ignore qu'il est issu d'une lignée de criminels et l'amitié qu'il propose très vite à Holly est loin de ce que l'on aurait attendu du personnage froid et calculateur du livre. Ces notions apportent cependant ce qu'il faut de candeur à une histoire qui se concentre essentiellement sur l'attaque du manoir par les commandos de récupération : une durée de temps très limitée, mais qui permet de percevoir la relation que chaque personnage entretient avec les autres.
Dans ce contexte, les scènes deviennent très vite haletantes et le spectateur est propulsé d'emblée dans l'action, transporté par la rapidité des scènes de combats et le péril que court les personnages et captivé par les moments de confidence qui se créent entre Artemis et Holly. Mais tout cela ne serait rien sans la formidable contribution de Patrick Doyle qui rythme le film de ses musiques pleines d'entrain, donnant au personnage d'Artemis l'aura d'un grand génie du crime et conférant à l'histoire tout ce qu'il y a d'émotion possible par ses mélodies irlandaises, mélodies qui nous transporte sans mal sur cette terre de magie.
Une chose est sûre : c'est dans ses dernier instants que le film atteint son plus haut sommet de majesté. Le jeune garçon aux lunettes noires et au costume impeccable est devenu la copie conforme de son père et s'apprête à régler son compte à Opale Koboï avec l'aide de ses nouveaux amis magiques. Et on n'a alors plus qu'une hâte : découvrir la suite de ses aventures.