Les Bay-Bay-vores seront servis et il ne faudra pas longtemps pour le savoir. À peine sorti de la boucle « Transformers », c’est sur Netflix qu’un des maîtres du spectacle hollywoodien a trouvé refuge, avec un « 6 Underground », dopé à une esthétique toujours aussi stylisée. Que l’on aime ou pas, il faut reconnaître un savoir-faire unique et précieux chez Michael Bay. Il part du pitch du film éponyme danois de Laurits Munch-petersen, sorti en 2005, pour juxtaposer une des plans survoltés et à l’esprit anarchique, comme il sait bien le faire. D’autres y verront le fantôme d’un GTA et à raison, mais là où le cinéaste nous emmène, c’est dans le cœur de l’action, mais plus encore, dans les entrailles d’êtres vivants, effacés par la réalité qui les écrase. Tout ce qu’il cadre finit par servir la folle course-poursuite et à nourrir le regard d’un spectateur qui ne peut qu’halluciner devant des plans inédits et une technicité sans limite.
C’est à la fois son point fort et un problème récurrent chez le cinéaste, obsédé par le sens du montage et de l’art visuel, très éphémère. Il n’est pas un très grand narrateur, c’est pourquoi il laisse la plus grosse part à ses images qui parlent d’elles-mêmes. Une caméra RED à la main et un drone FPV Racer dans l’autre, le festival peut commencer. L’ouverture ne manque pas de souligner les motifs, chers au réalisateur, où les institutions américaines semblent aussi bien dépassées qu’inefficaces. Il n’y a aucune âme à l’autre bout du fil, mais Will (Yahya Abdul-Mateen II) fera ce qu’il faut pour accorder avenir et prospérité à sa famille. L’ancien militaire n'a pas d’autres choix que de retrouver son frère adoptif, Danny (Jake Gyllenhaal), et d’embarquer pour un rodéo, qui peut rappeler le « Speed » de Jan de Bont. Les détours seront nombreux, mais la ligne d’arrivée reste à définir, aussi bien pour l’ambulance qu’ils ont dû détourner que pour leur relation, entre tension et tendresse.
Encore faut-il ajouter une autre pièce maîtresse de cette mosaïque et elle s’appelle Cam (Eiza Gonzalez). L’infirmière secouriste est toute autant une victime de la société désabusée et qui la détache de tout sentiment. C’est un métier de l’urgence, qui n’est ni récompensé, ni félicité comme il se doit. La livraison de patients au bord de la mort ne l’affecte presque plus, sauf lors de son dernier covoiturage, qui mêle habilement l’adrénaline qu’elle recherche et les valeurs qui font d’elle un personnage sensible et fort. Le cas de Danny est plus complexe, mais comme pour chacun, c’est la recherche d’un foyer qui anime son ultime élan et qui le réconcilierait avec son petit frère. Will est dans un entre-deux permanent, qui contraste avec le côté impulsif et pourtant bienveillant de Danny à son égard. Cette complicité fonctionne le temps de quelques scènes d’une rare intensité, entre humour noir et flashbacks musicaux. Puis, le tout est rattrapé par le rythme donné par une caméra mobile, qui effleure ou accompagne suffisamment la fuite du groupe vers un lieu sain, que ce soit sur terre ou dans les airs.
L’occasion est donc propice à une balade au cœur d’un Los Angeles vivant, quartier par quartier, jusqu’à en oublier le braquage manqué d’où l’on vient. Bay n’avait qu’une hâte, c’est de démarrer la bête de course et de laisser les chorégraphies du chaos faire leur effet. « Ambulance » n’est donc pas qu’une modeste proposition et il y aura de quoi être surpris à plusieurs instants, si l’on accepte l’argument du metteur en scène, qui n’a pas pris l’option de freinage pour un retour en force en salle. C'est justement dans la liberté de création qu’il concrétise ses obsessions les plus folles, servies par des comédiens investis, notamment lorsqu’il faudra s’improviser docteur maboul. Alors oui, les autocitations et références pompeuses alourdissent le discours, mais jamais ils n’entraveront ce véhicule bélier, qui est prêt à sauver ce qu’il reste d’humain dans une ville qui semble avoir tout aspiré, jusqu’à avoir cédé au caprice de la haute surveillance numérique.