D'un film Danois (Ambulancen, 2005) passé sous les radars, Hollywood se réapproprie le concept malin...et refile le bébé à Michael Bay. On pense ce qu'on veut de ce choix, il n'empêche que Bay est de ces réalisateurs qui impriment leurs marques sur chaque projet. Réciproquement, le cinéaste est également la raison de bien des griefs adressés à ces œuvres, dénaturées par les obsessions du sieur à base de montage imbitable, d'explosions à tout-va et d'humour pitoyable. Pour une raison qui m'échappe, ces caractéristiques sont portées aux nues par une partie de l'audience qui loue chez Bay ce qu'elle reproche à d'autres. En synthèse, on va voir un film du sieur comme on va chez le confiseur, pour choper sa ration de sucres en sachant que ce n'est pas bon pour les dents. Pour les réfractaires, la curiosité devant chaque nouvel opus s'accompagnera de pas mal d'appréhensions et quelques tubes de médicaments en prévision d'une probable nausée ou crise d'épilepsie. Ambulance n'est pas son coup d'essai au rayon pitches alléchants. Mais comme pour The Island ou 13 Hours, la réussite potentielle est en grande partie sapée par ce choix de metteur en scène inadéquat.
Au moins, Bay il expérimente ? C'est vrai, à coups de plans aux drones cette fois-ci. Hélas, comme les autres, ils ne durent que 1 seconde donc ne font qu'ajouter au foutoir ambiant. Subir 200 plans à la minute, zéro gestion de l'espace et une vulgarité continue, c'est déjà difficile sur un petit écran. En revanche, l'avantage de retrouver 6 Underground sur Netflix, c'est qu'on pouvait le segmenter pour rendre son visionnage un peu moins insupportable. Dans une salle de cinéma, pas de pause. Nous voilà lancés pour 2h16 furieusement déstructurées autant dans l'action que dans la communication. Sauf qu'on est pas chez un visionnaire comme Oliver Stone ou dans l'énergie cinétique d'un Tony Scott. Michael Bay, c'est la logique de l'empilement : les plans s'additionnent, se multiplient jusqu'à exploser toute forme de compréhension. Qu'on descende, qu'on monte ou qu'on avance en ligne droite (sur l'autoroute, par exemple), on ne peut jamais déterminer précisément où on se situe puisqu'à chaque plan on est ailleurs. En termes de lisibilité, Ambulance fait passer du Paul Greengrass pour du Paul Schrader.
Au moins Bay, il fait les cascades en dur ? C'est certain, à condition qu'on puisse les déchiffrer. À ce petit jeu, je préfère de loin un film blindé de numérique mais compréhensible. Les 40 millions de budget se voient, Ambulance affiche une ambition et une générosité qu'on retrouve généralement sur des blockbusters qui ont coûté plus du double. Le truc, c'est que le spectacle ne marche que quand on est investi émotionnellement dedans. Or, comment est-ce possible quand la plus petite parcelle de votre cerveau n'arrive pas à raccorder les morceaux les uns aux autres, et que certains soubresauts scénaristiques sont d'une bêtise à vomir ? La distribution se démène comme elle peut afin de compenser les énormes tares techniques. Sachant que les comédien.ne.s ont rarement eu à se vanter d'avoir ajouté Michael Bay sur leur tableau de chasse, il est donc d'autant plus remarquable quand ils/elles arrivent à tirer leur épingle du jeu. Ce nouveau film est l'un des rares à être aussi bien servi par ses interprètes, Jake Gyllenhaal, Yahya Abdul-Mateen II...et Eiza Gonzales à la surprise générale. D'habitude relégué au rang de potiche ou de meuble par la caméra de Bay, le premier rôle féminin a ici de vrais enjeux, un vrai caractère et met en valeur le talent de son actrice. Une vraie révolution, en somme.
Au moins Bay, c'est un auteur ? C'est incontestable, et donc cela le rend supérieur à de braves artisans qui mettent leur talent au service du récit et non l'inverse ? Je ne crois pas. Surtout que les motifs récurrents du bonhomme ont de quoi exaspérer, entre les blagues de beauf, les contre-plongées aux ralentis et la déification de l'uniforme. On s'est déjà bien penché sur les travers du style (le "Bayhem", jeu de mots entre le nom et mayhem = désordre en français), la justice veut donc qu'on parle des agréables surprises à mettre au crédit du réalisateur. En premier lieu, une légère inflexion sur le terrain politique qui tend à démontrer que l'homme a un avis nuancé sur les questions morales induites par les agissements de ses personnages. Au milieu du marasme général, une vraie séquence d'anthologie à retenir, une opération chirurgicale en visioconférence à mourir de rire. Puis, le final simple et émouvant, si on passe outre un ou deux ralentis bien gras. Ce qui m'amène finalement à une conclusion étrange : pour le bien du film, il aurait été préférable de le confier à quelqu'un d'autre que Bay. Il faut cependant admettre que Ambulance offre au sieur l'un de ses meilleurs films.