Après avoir été porté (un peu vite) aux nues par des critiques croyant avoir découvert le nouveau Hitchcock, M. Night Shyamalan a connu, après trois films très réussis ("Le Sixième Sens", "Incassable" et "Signes") un douloureux retour à la réalité à compter du très imparfait "Village", qui a amorcé une dégringolade artistique l’ayant fait passer de génie à paria has been. Le réalisateur a, cependant, eu l’intelligence de se remettre en question et de revenir aux fondamentaux de son cinéma, via Blumhouse Productions (et son prolifique boss Jason Blum). Ainsi, après avoir fait reparler de lui en bien avec "The Visit", il s’offre un come-back retentissant avec ce "Split"… et c’est amplement mérité. On retrouve dans ce film le goût du réalisateur pour les ambiances stylisées, les rythmes posés, les personnages à tiroirs, le suspense subtil entrecoupé de séquences terriblement évocatrices ou encore les twists scénaristiques… Bref, Shyamalan en revient à ce qu’il sait faire de mieux, sans fioritures, sans effets tapageurs et, surtout, en ayant peaufiné son style. A titre d’exemple, je n’ai jamais été gêné par le manque de rythme ou par la lourdeur des silences, ce qui pouvait être le cas, dans "Incassable" par exemple. Et puis, Shyamalan s’est souvenu d’un truc essentiel : un bon film part souvent d’un pitch intriguant. Là encore, c’était le cas de ses trois hits (et, dans une moindre mesure, du moyen "Phénomènes"). Ici, c’est peu dire que l’histoire donne envie (un schizophrène, affublé de 23 personnalités différentes, séquestre 3 jeunes filles) puisqu’il laisse entrevoir une ambiance oppressante, des rebondissements et une prestation condamnée à être époustouflante… sous risque de flinguer le film. Niveau ambiance, Shyamalan réussit à faire ressentir la détresse des jeunes captives en adoptant un ton assez réaliste sans pour autant être austère (coup de chapeau au chef opérateur et aux décorateurs !) et s’offre le luxe d’aérer son récit par l’intermédiaire des visites de Kevin chez sa psy (Betty Buckley). Ces séquences font, non seulement, prendre l’air au spectateur mais permettent, également, d’en savoir plus sur le personnage. Niveau rebondissement, Shyamalan a l’intelligence de ne pas tout miser (comme à son habitude) sur un twist final qui change tout… mais nous en réserve, quand même un qui, pour les fans du réalisateur, change quand même beaucoup de chose. En effet, alors que j’étais persuadé que
la jeune Casey, captive de Kevin, s’avérerait être, en fait, une de ses personnalités
, Shyamalan a préféré opter pour une vision plus métaphorique en faisant
de son héroïne une victime perpétuelle qui, même libéré du monstre, retournera dans les griffes d’un autre, à savoir son tuteur
.
Les flash-backs auxquels ont a eu droit avant (et dont la portée m’échappait un peu) prennent, alors, tout leur sens. Son dernier plan où on lui annonce, après avoir été miraculeusement épargnée, qu’elle va retourner vers celui qui a abusé d’elle depuis sa plus tendre enfance est saisissant et s’impose comme un modèle de fin tragique
. Quant à la surprise finale du chef, elle ne parlera pas forcément au grand public, mais elle enthousiasmera forcément
ceux qui ont vu (et aimé) "Incassable"
. Car,
outre le caméo de Bruce Willis en David Dunn (sur une BO bien connue des fans)
, cette séquence
justifie les dérives un peu trop fantastiques du récit (à commencer par les transformations physiques de Kevin) et nous promet une suite commune qui nous fait forcément saliver (et qui a été confirmé depuis sous le nom de "Glass")
. Enfin, l’interprétation est, comme prévue, phénoménale. Dieu sait si je suis fan de James McAvoy, qui est, tout simplement, un interprète de génie qui fait vivre les rôles les moins écrits par un jeu tout en densité et une nervosité. Mais là, il nous livre une prestation extraordinaire où il rend crédible chacune de ses personnalités,
du gamin attardé à l’artiste, en passant par le psychopathe maniaque et, bien évidemment, la Bête, qu’il incarne de façon terrifiante (voire le plan avec son visage coincé entre les barreaux)
. Il trouve, face à lui, une partenaire, également épatante de maturité en la personne de l’atypique Anya Taylor-Joy. Ses regards et son attitude déconcertante face à l’horreur font de son personnage une victime ni soumise, ni rebelle… soit une héroïne qu’on a pas l’habitude de voir sur grand écran. "Split" est, donc, un film très réussi, tant par son écriture étonnement dense que par son interprétation et sa mise en scène. Seul petit bémol : j’attendais un peu plus de rebondissements mais, une fois encore, le dénouement de l’histoire densifie, d’un seul coup, tout ce qu’on a vu avant, de sorte que ce défaut apparaîtra sans doute plus au second visionnage. En fait, Shyamalan nous a refait le coup du twist final, en moins ébouriffant. Ou en plus subtil, c’est selon. Au point qu’on se reprend à attendre son prochain film !