Dans la carrière de Shyamalan, ‘’Split’’ restera un des films les plus importants. ‘’Split’’ c’est le film de la résurrection. Car après une série d’échecs blockbusteresque (‘’Le dernier maître de l’air’’ et ‘’After Earth’’), il était temps pour le réalisateur de revenir aux sources de son cinéma. Terminé les gros films où Shyamalan ne contrôle plus rien. Désormais, Shyamalan souhaite tourner des films ‘’plus petits, plus noirs et plus malicieux’’. Son souhait est exaucé par l’intermédiaire de la Blumhouse, maison de production célèbre pour ses films d’épouvantes à petit budget et à succès (comme ‘’Paranormal Activity’’, qui, par rapport à son budget est tout simplement le film le plus rentable de l’histoire du cinéma). La collaboration commence de manière encourageante avec ‘’The Visit’’ qui parvient quand même à rapporter 97 091 856 de dollars pour un budget ridicule de 5 000 000 de dollars. Mais c’est sans conteste ‘’Split’’ qui permet à Shyamalan de reconquérir sa notoriété passée. En plus de reçevoir des critiques plutôt enthousiastes, le film parvient à rapporter 278 454 358 de dollars pour un budget de 9 millions de dollars. Un film qui a fait sensation, et ce pour un certain nombre de raisons.
Kevin souffre de trouble dissociatif de la personnalité. Il a déjà révélé 23 personnalités à sa psychiatre le docteur Fletcher. L’une des personnalités de Kevin, Dennis, kidnappe alors trois adolescentes, dont l’étrange Casey. Pourquoi Dennis les a-t-il kidnappées ? Parviendront-elles à s’échapper ?
Voir ‘’Split’’, c’est en premier lieu renouer avec le plaisir, le frisson et enfin, le suspense qu’offraient les bons films de Shyamalan. M. Night Shyamalan est d’une part un créateur d’histoire hors pair (ses scénarios sont souvent très originaux) et d’autre part un excellent conteur (ses histoires originales, il sait comment leur donner du rythme et sait les mettre en scène). Rebelote avec ‘’Split’’. Forcément, le sujet est en or car le dédoublement de la personnalité a toujours été source de mystères et de frissons à Hollywood (merci à Hitchcock et à ‘’Psychose’’). Mais ici, le suspense naît de plusieurs bords. D’abord, il y a ce Kevin, une énigme à lui tout seul. Découvrir les multiples personnalités du bonhomme est déjà source de suspens. A ce titre, Shyamalan et son acteur James McAvoy évitent plusieurs écueils. Ils évitent le catalogue en refusant de montrer toutes les personnalités de Kevin et préfèrent travailler trois ou quatre personnalités dominantes. Le choix est judicieux et permet d’éviter de tomber dans l’artificialité. De plus, McAvoy évite le surjeu permanent. Selon la personnalité, McAvoy sera tout-à-tour calme, outrancier, drôle ou terrifiant. L’acteur est à lui seul un spectacle… sans pour autant entraîner le film vers un one-man-show stérile. M. Night Shyamalan a de nouveau l’entier contrôle sur ses films. La deuxième source de suspense concerne le sort des trois jeunes filles.,, et plus particulièrement, du comportement de la jeune Casey. D’où vient son caractère très solitaire et taciturne ? Comment parvient-elle à comprendre aussi facilement Kevin ? La prometteuse Anya Taylor-Joy apporte sa beauté atypique à son personnage, parvenant même à tenir tête à James McAvoy. Le huis clos entre les captives et le ravisseur est souvent haletant, aidé par les superbes travellings de Shymalan dans ce sous-sol mystérieux. Une réserve hélas peut être émis : c’est quand on sort du huis clos. Les scènes entre Kevin et sa psychiatre (si elles étaient nécessaires à la compréhension du trouble de Kevin) ont le malheur de briser le suspens. Ces scènes qui ralentissent (trop) le film ont du moins le mérite de renforcer l’attente. L’attente de découvrir ou non la 24ème personnalité de Kevin : la Bête. Cette 24ème personnalité est-elle vraiment réelle ? Ne serait-ce pas plutôt un fantasme de l’esprit complètement ‘’splité’’ de Kevin ?
On en arrive alors au coeur du film. Car au-delà d’avoir un bon film à suspense, mâtiné de fantastique, c’est bien les enjeux du film qui sont vraiment marquants. Il nous est révélé que la Bête existe bel et bien : cette dernière émerge et dévoile son potentiel, bien au dessus des aptitudes humaines. Mais il faut s’interroger : que veut donc nous dire Shyamalan avec cette bête ? Une phrase prononcée par la Bête en fin de film explique tout ‘’Split’’ : ‘’the broken are the most evolved’’ (‘’les brisés sont les plus évolués’’). Chez M. Night Shyamalan, les héros sont rongés par une faiblesse physique ou morale. C’est le cas ici avec les deux héros de ‘’Split’’. Kevin et Casey ont un passé similaire : ayant vus leurs pères mourir rapidement, ils furent tous les deux la proie d’un parent tyrannique (la mère de Kevin, l’oncle de Casey). Battus, les deux êtres vont réagir différemment : Kevin voit naître en lui toutes ces personnalités qui vont le protéger tandis que Casey opte pour la solitude. Et pourtant ici, la faiblesse se révèle finalement un atout pour les deux protagonistes. La Bête naissante est l’émanation, le représentant des brisés. Son but est de protéger Kevin, mais aussi s’attaquer aux ‘’impurs’’, aux êtres qui n’ont jamais connu de grandes souffrances. Ironiquement, plus le film devient noir (à mesure que la Bête apparaît à l’écran pour dévorer des impurs), plus il est possible de voir une issue optimiste pour les gens tourmentés (si, si!). Le potentiel humain ne peut-être dépassé que par les brisés, ceux qui ont déjà connu les pires épreuves. Se servir de ses blessures pour atteindre les sommets et dominer ceux qui n’ont jamais connu la souffrance, tel est le but de la Bête. Et c’est d’ailleurs grâce à ses blessures que Casey parvient à se rapprocher de Kevin et finalement à survivre à la Bête. ‘’Your heart is pure’’ (‘’ton coeur est pur’’) lui dit la Bête. Quelle que soit la noirceur immanente du film, ‘’Split’’ reste au final un plaidoyer pour les êtres marginaux, les brisés, qui sont les seuls à pouvoir développer certaines capacités hors du commun.
C’est du moins ce qu’on peut croire jusqu’à la scène finale. Celle-ci arrive comme pour apporter une réponse à la puissance des ‘’broken’’ (les ‘’cassables’’).
Dans ce dernier plan apparaît David Dunn, le héros d’ ‘’Incassable’’ (sorti en 2000)
. C’est alors que le jour se fait dans l’esprit du fan de Shyamalan.
‘’Incassable’’ et ‘’Split’’ se déroulent dans le même univers
. Dès lors, les capacités de la Bête sont justifiées. Dès lors, la phrase ‘’We are what we believe we are’’ (‘’on est ce qu’on croit être’’) prononcée par Fletcher, puis par Dennis est expliquée. Ce monde est celui où il suffit de croire être pour être. C’est en croyant être la Bête que la Bête finit par surgir du corps de Kevin.
Un peu comme David Dunn : c’est en croyant être un super-héros que Dunn deviendra effectivement un super-héros. Et comme toujours, le héros finit par croiser son contraire : c’est le cas de David, un ‘’incassable’’ qui dans ce dernier plan entend parler de Kevin (qui désormais est surnommé La Horde en raison de ses multiples personnalités), un ‘’cassable’’
. M Night Shyamalan est décidément un as du twist final. Ce qui rend un twist bon, ce n’est pas tellement sa capacité à surprendre que sa capacité à totalement changer notre façon de voir un film au second visionnage. Et c’est le cas ici :
voir David Dunn apparaître change complètement notre façon de voir le film. Dorénavant, on ne peut s’empêcher de faire des parallèles entre les deux films. Deux films qui sont à la fois proches (les films décrivent l’émergence des dons exceptionnels de deux hommes) et éloignés (à mesure que Dunn progresse vers le bien en sauvant les gens, Kevin bascule dans le mal en s’attaquant férocement aux innocents). Enfin, on ne peut s’empêcher de voir ‘’Split’’ comme une des premières origin story sur un super-vilain au cinéma.
‘’Split’’ est donc un film salutaire. Salutaire pour ses héros tourmentés (Kevin accueille la Bête, Casey y survit et se trouve en capacité de lutter contre son oncle). Salutaire pour son réalisateur (
qui en plus de renouer avec le succès concrétise enfin son projet de trilogie super-héroïque, entamé en 2000 avec ‘’Incassable’’
). Salutaire enfin pour le spectateur qui peut de nouveau espérer voir à l’avenir des bons films de Shyamalan. Concernant Shyamalan, il est clair que ‘’Split’’ est son film le plus personnel depuis longtemps, un film qu’il avait en gestation depuis près de 16 ans (
le personnage de Kevin existait déjà dans l’esprit de Shyamalan au moment où il tournait ‘’Incassable’’). ‘’Split’’ est un film qui parviendra très habilement à s’intégrer à l’univers d’ ‘’Incassable’’ avec ‘’Glass’’.