Recordman du nombre de personnalités multiples (23, le bougre !), un homme en prépare l'émergence d'une 24ème ultime répondant au joli surnom de "La Bête" et dont le kidnapping de trois adolescentes pourrait bien en être la clé.
"Split" nous est narré par l'intermédiaire de trois points de vue de prime abord distincts : la captivité des trois jeunes filles confrontées à leur ravisseur à l'humeur changeante (doux euphémisme), des flashbacks sur la plus dégourdie d'entre elles et, enfin, une psychiatre étudiant le cas de l'étrange bonhomme.
Le premier est bien sûr le plus haletant, d'autant plus que le trio de victimes fait preuve d'une vraie ingéniosité dans sa volonté de s'en sortir en tentant d'utiliser les diverses facettes de Kevin à leur avantage. La psyché plus que complexe du personnage nous est disséquée grâce au regard éclairé de sa thérapeute nullement dupe des entourloupes de ses différentes personnalités, cette partie d'échecs psychologique est bien entendu fascinante à suivre. Et puis, il y a cette exploration du passé de cette victime amenée à devenir l'héroïne, sans doute la partie la plus faible par sa prévisibilité mais sa finalité d'intrigue parallèle à la principale sur la diversité des "bêtes" qui nous entourent est plutôt judicieuse et, paradoxalement, c'est d'elle que viendra la scène la plus anxiogène du film ("le jeu").
Pris indépendamment tous ces points de vue fonctionnent plutôt bien mais, lorsqu'on les assemble, le résultat devient étrangement bancal.
Alors que McAvoy livre une prestation monstrueuse en passant avec une facilité déconcertante d'une personnalité à l'autre, M. Night Shyamalan semble, lui, avoir eu un mal fou à jongler avec la structure même de son récit. À bien y regarder, le réalisateur/scénariste nous a rarement offert des intrigues avec autant d'interférences (des flashbacks ou des différences de point de vue), optant souvent pour une approche bien plus linéaire. À ce titre, "Split" représente une sorte de mode de narration assez inédit pour lui où il ne convainc hélas pas.
L'inconsistance du découpage entre les trois angles d'approche devient fatal pour la mise en place d'une tension globale alors que, pourtant, tous les éléments s'y prêtent. Attention, on est souvent accroché et fasciné par cette histoire mais jamais de manière permanente, une séquence sur le point d'atteindre son point culminant de suspense se retrouve soudain interrompue par une autre qui fait naître le même sentiment et ainsi de suite. Il en résulte un problème de rythme assez bizarre où l'on se retrouve à la fois captivé et "expulsé" du film par intermittence, surtout sur sa première moitié. On pourrait naïvement y voir une volonté de plonger le spectateur dans le même brouillard mental que le personnage principal mais on en vient quand même très vite à se demander si une construction en huis-clos total entre le ravisseur et ses trois prisonnières n'aurait pas été une meilleure option pour véhiculer un climat oppressant permanent.
Heureusement, lors de sa seconde partie, le film parvient à gommer ces problèmes narratifs grâce à une montée en puissance constante de ses enjeux et joue bien plus habilement (et graphiquement) du danger représenté par la folie des personnalités dissonantes de Kevin. En ce sens, le face-à-face final d'une intensité assez dingue nous cloue tout bonnement à notre fauteuil.
Au vu de l'attente suscitée, on ne peut-être qu'un peu déçu par "Split" et ce n'est pas ce clin d'oeil ultime, certes amusant à découvrir mais tenant plus d'une sorte d'argument marketing qu'autre chose, qui viendra nous contredire . Mais, voyons le bon côté des choses : s'il ne signe pas encore vraiment le grand retour du M. Night Shyamalan qu'on a tant adoré à ses débuts (il est sur la bonne voie mais "The Visit" était peut-être bien plus réussi en terme de surprise), il offre l'occasion à James McAvoy de nous livrer un énorme numéro d'acteur (la "bête" attractive du film, c'est bel et bien lui !) face à une toute aussi excellente Anya Taylor-Joy. Ce n'est déjà pas si mal.