J'ai fait connaissance avec le cinéma de Jacques Audiard lors de mes années de lycée, avec l'option cinéma que j'ai suivis. Je remercie sincèrement mes professeurs d'audiovisuel grâce auxquels j'ai pu découvrir à 16 ans "De Battre mon coeur s'est arrêté" (2005), avec Romain Duris & Neils Arstrup, "Un Prophète" avec Tahar Raïm (2009) et "Sur mes lèvres" avec Emmanuelle Devos et Vincent Cassel (2001), du réalisateur, car c'est avec Jacques Audiard que je me suis ouvert et que j'ai commencé à m'intéresser au cinéma d'Auteur que je mésestimais complètement auparavant dans mon champ hyper restreint de cinéphile immature. Même si entre temps, "De Rouille et d'Os" (2012) est passé par là et que de souvenir, j'avais tellement peu accroché que je n'ai même pas pu aller au bout du film (mais ce serait à revoir), grâce à mes cours de cinéma du lycée, j'ai toujours porté intérêt à l'oeuvre de Jacques Audiard, j'ai toujours été sensible aux façons de filmer du réalisateur, à son montage et les thématiques récurrentes de son oeuvre.
Jacques Audiard c'est un mec que j'aime vraiment bien, un auteur, un vrai, et dont les films (du moins ceux de lui que j'ai vu) ont une épaisseur et une identité reconnaissable. Ce que j'aime beaucoup chez Jacques, c'est que c'est un cinéaste de "l' isolement". Ce que je trouve passionnant/captivant dans les films d'Audiard, c'est cette récurrence à mettre en scène des personnages isolés, physiquement, moralement, localement, symboliquement, des personnages qui perdent la notion du bien et du mal et qui tentent toujours désespérément de se construire une "bulle", un refuge, pour affronter ou fuir une réalité qui les dégoûte (souvent par la violence) mais qui échouent car rattraper par leur destin. Des thématiques qui me touchent personnellement et que Jacques a très bien su transposer dans plusieurs genres, que ce soit dans l'univers carcéral impitoyable de "Un Prophète" ou encore dans le mélodrame avec "De Rouille et d'Os". Cette fois, Jacques Audiard se lance lui même un sacré challenge et pas des moindres en s'attaquant à un genre, que dis-je un véritable pilier du Cinéma de Genre, quasiment né en même temps que le Cinéma lui même avec "l'Attaque du Rapide" Edwin S. Porter en 1903, le Western !!
Voilà qui est bien improbable !!! Jacques Audiard qui s'essaye au Western, rien que ça ^^.
Ainsi, le réalisateur de "Regarde les hommes tomber" (1994) vise grand: faire un film d'Auteur en affichant sa singularité dans un film grand public populaire. Des Westerns on en a eu à la pelle dans les années 30-50 avec le tandem iconique John Ford/John Wayne, "La Chevauchée Fantastique" (1939), "La Charge Héroïque" (1949), "La Prisonnière du Désert" (1956), "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962) ect dans l'âge d'or Hollywoodien, puis au Nouvel Hollywood avec "La Horde Sauvage" de Sam Peckinpah (1969), "Little Big Man" d'Arthur Penn (1970) et j'en passe....puis dans la modernité avec "Impitoyable" de Clint Eastwood (1992) puis "Danse avec les Loups" de Kevin Costner (1990); bref, on a eu plus d'une centaine de Westerns depuis les origines du 7ème Art, des films de cow-boy qui ont connus moult chrysalides a travers les âges. On pourrait en avoir marre de voir toujours les mêmes choses, les mêmes codes, les mêmes personnages types, pourtant en France, on a cultivé depuis la Nouvelle Vague ce mouvement cinématographique théorique initié par François Truffaut dans les pages des Cahiers du Cinéma en Février 1955 qu'est la "Politique des Auteurs" selon laquelle le réalisateur de Cinéma est un Auteur à part entière. De cette manière lorsque Steven Spielberg ou Stanley Kubrick font un film de Guerre, ça intéresse car ce sont des auteurs de cinéma. C'est la même chose pour "Les Frères Sisters", le film a notre intérêt non pas car il est un Western en premier lieu...mais un Western réalisé par un auteur.
C'est tout à fait avec cette mentalité découlant de la Politique des Auteurs que je demeurais extrêmement curieux de voir ce qu'allais donné un Western avec Audiard derrière la caméra !
Bon, "Les Frères Sisters" / "The Sisters Brothers", Western Franco-Américain et 8ème film de Jacques Audiard, adapté du roman éponyme de Patrick deWitt (2011) nous raconte l'histoire de deux frères dans l'Oregon de 1851. Charlie & Eli Sisters sont deux mercenaires sans pitié, chargés par le Commodore de parcourir l'ouest américain à la recherche de Warm, un chimiste qui aurait découvert une formule scientifique pour fabriquer de l'or, tandis que leur acolyte John Morris est déjà sur les traces de Warm. Mais les Frères Sisters peuvent-ils vraiment faire confiance à Morris ? Quel est l'objectif de Warm en possession d'une telle formule...dans le contexte de la ruée vers l'or ? Cette quête initiatique mettra Charlie, Eli et le lien fraternel qui les unis à l'épreuve de la cupidité et de la violence du monde qui les entoure.
Voilà pour le pitch global.
Verdict : que penser des "Frères Sisters", autrement dit ce Western d'Auteur ? Eh bien honnêtement mon ressenti est assez brumeux, assez compliqué à vraiment définir tant le résultat est homogène pour moi.
Je n'irais pas par 4 chemins, objectivement, "Sistrers Brothers" est un bon voir même un très bon film tout à fait réussi.
L'entreprise très ambitieuse de Jacques Audiard de poser son empreinte sur un genre hyper populaire comme le film de Cow-Boy qui a fait les beaux jours d'Hollywood est tout à son honneur....seulement voilà, pour moi Jacques a commit une erreur ! Je vais expliquer ce que j'entends par là.
Ce qui me plaisais chez Jacques Audiard, sans reparler de ses thématiques citées plus haut dans ma critique, c'est que le réalisateur avait vraiment une identité stylistique et codifiée reconnaissable. Hors là le problème est tout simplement que je n'ai pas su la retrouver. C'est très simple, je n'ai pas eu l'impression avec "Les Frères Sisters" de voir un film "Audiarien".
Tout le problème étant le suivant, en cherchant à additionner sa singularité d'Auteur dans le genre codifié du Western...j'ai eu l'impression très forte que la singularité d'Audiard s'était retrouvée complètement diluée, hyper minimisée, que l'approche originale du réalisateur-auteur s'effaçait au profil du genre et de ses codes.
J'ai tout simplement eu l'impression de voir un Western mais PAS un film de Jacques Audiard. Vous allez me dire en voyant ma modeste note qu'un jeune comme moi ne sait pas apprécier du Cinéma d'Auteur, que si je suis déçu c'est que je devais m'attendre à des scènes d'actions bourrins non stop et un rythme soutenu parce que je suis de ce que l'on a vulgairement appelé la "Marvel's Generation". Je vous arrête tout de suite, vous n'y êtes pas. Personnellement selon la nature et le genre de film que je vais voir au cinéma, mon cerveau n'est jamais formaté, stimulé de la même manière en fonction des films aussi, lorsque je vais voir un film d'Auteur, mon cerveau n'est pas formaté comme lorsque je vais voir un blockbuster, mes attentes ne sont pas orientées sur le même objet.
Et justement, avec Jacques Audiard je savais à quoi m'attendre et je n'allais pas voir les "Frères Sisters" en espérant voir des duels de revolver et des cascades de folies non, je connais suffisamment Audiard pour savoir que le réalisateur est dans l'intime et la retenue. Hors là, il se trouve que le film ne m'a pas déçu parce qu'il était un film d'Auteur...mais parce qu'il m'a semblé être bien plus un film de genre qu'un film d'Auteur (alors que j'attendais un film d'Auteur).
Jacques Audiard a voulu intérioriser les codes du Western pour en faire un film personnel avec des personnages isolés en quête d'une bulle à l'abris de la violence du monde, c'est hélas tout le contraire qui s'est produit à mes yeux, Audiard a été trop à l'ouest (c'est l'cas d'le dire ouaip ^^), il a tu son originalité.
Sans être un échec total car bon, je suis peut être un peu de mauvaise foie, si, on retrouve quelques thématiques chères à Audiard (que j'ai cité) mais Jacques en a vraiment fait le minimum syndical et je le répète encore mais la singularité thématique et stylistique du réalisateur s'efface devant le banal des codes du Western.
Et c'est clairement dommage car plus que de la déception, c'est de la frustration que je ressent car ce film avait de solides fondations sur le papier : une histoire intéressante, des personnages intéressant, l'univers du Western et le contexte de la ruée vers l'or, mais à l'écran le film semble loin des promesses qu'il nous a fait, à mes yeux y a limite tromperie sur la marchandise.
Dans un film d'auteur, on est sensé toucher à du Cinéma de Personnage ou ce sont les personnages et leur(s) conflit(s) psychologique(s) qui donnent le tempo, hors ici les personnages sont pauvres et plus des automates de l'histoire qu'autre chose, beaucoup trop fonctionnel.
Là encore c'est hyyyyyper rageant d'avoir des personnages aussi peu développés et élémentaires avec un casting 4 étoiles !! Entre John C. Reilly, l'acteur de "Magnolia" (1999), "Gang of New York" (2002), "The Lobster" (2015) et le doubleur de Ralph La Casse dans "Les Mondes de Ralph" de Disney (2012), Joaquin Phoenix ("Gladiator" de R.Scott en 2000, "Le Village" de M.Night Shyamalan en 2004, "Her" de Spike Jonze en 2013 ect) et en plus Jake Gyllenhaal ("Donnie Darko" en 2001, "Prisonners" & "Enemy" de D.Villneuve en 2013-2014) il y avait de quoi être ravi mais, et ceux même si les acteurs se montrent très investis, leur jeux sert malheureusement des personnages trop plats avec un relief psychologique insuffisant.
Je repense à Romain Duris dans "De Battre mon coeur s'est arrêté" (2005) qui cherchait à s'émanciper de son paternel pour vivre librement sa vie et faire du piano, ici on se retrouve encore une fois la thématique de
l'oppression par la figure du père qui hante les deux frères puisque Eli (John C.Reilly), le cadet a eu a tuer son père alcoolique et violent, à la place de Charlie (Joaquin Phoenix), l'aîné, qui n'a pas eu le courage de le faire. Si dans le film de 2005, Tom (Romain Duris) était oppresser par la présence de son père et devait "tuer son père" d'un point de vue psychanalytique, ici il y a toute une symbolique Freudienne car les frères ont supprimés leur père mais ils restent encore d'une certaine manière psychologiquement aliénés à lui. En psychanalyse, on dit que l'enfant doit "tuer le père" pour devenir un homme. Le point de vue psychanalytique est d'autant plus adapté dans le cadre du film que les personnages d'Eli et Charlie sont en fait des enfants innocents et immatures (le plus jeune est un rêveur raisonnable tandis que le plus grand est un fêtard irresponsable qui passe son temps à prendre des cuites) dans des corps d'adultes, des enfants qui n'ont pas encore bien comprit et discernés les notion du Bien et du Mal dans un monde sauvage et violent. Des enfants, idée encore plus explicite encore avec la toute fin ou les "Sisters Brothers" regagnent le foyer familial et ou leur mère leur passe un savon avant de les choyer (là encore symbolique des enfants qui n'ont pas encore réussi à couper le cordon ombilical avec la Mère).
C'est bien rageant car je sent que le sous texte est là, bien présent mais hélas, tout ce développement de personnage n'est qu'un iceberg. C'est ça, les personnages des "Frères Sisters" sont des "personnages iceberg", leur développement ne représente qu'une infime surface de la chose...et malheureusement Jacques Audiard en reste à la surface et ne plonge jamais profond pour exploiter la partie immergée de la psychologie de ses personnages, on en reste assez bêtement à l'exposition mais jamais on ne bascule dans l'exploration.
Idem pour les personnages de Warm et Morris, l'autre duo avec toute sa thématique de
bâtir un Etat nouveau, sans vices, juste et ou les hommes pourront êtres libres; sorte de transposition dans le Western de l'Utopia de Thomas More (1516). Là pareil, on cite les objectif mais jamais on ne s'y attarde, ça en reste et restera à l'état de long dialogues encombrant sans jamais de concrétisation, alors qu'avec ça, Jacques Audiard avait trouvé une super idée pour dresser une critique pessimiste puis optimiste de notre société, de critiquer la sauvagerie face à la civilité.
Là encore, c'est le cas de le dire mais Jacques Audiard est passé à côté d'une mine d'or qui était pourtant sous ses yeux. Le réalisateur néglige pratiquement tout le potentiel émouvant de son film, ne développe aucune de ses thématiques et ne meuble pas son "conte initiatique de cow-boy", du coup les personnages sont réduits à être fonctionnels et le récit s'aplatit, nous laisse constamment dans l'attente et finalement c'est l'ennui qui finit par se pointer.
Je n'avais pas envie d'être déçu et je n'ai toujours pas envie d'être méchant avec "Les frères Sisters", j'aurais absolument tord car on a là un réalisateur Français qui s'est donné les moyens de faire un Western avec des vedettes d'Hollywood, à mille lieux des comédies stupides que l'on a en masse, j'ai serte été pas mal frustré par ton dernier film Jacques mais rien que pour ça tu as quand même tout mon respect.
Allez le voir !