Cette fois, ce n’est pas un contexte géographique et historique différent (l’Australie, la Corée du sud...ou la Hesbaye selon Bouli Lanners,...) qui apporte un énième sursis à ce genre en réanimation perpétuelle qu’est le western mais les contingences de sa création et l’originalité du regard que lui porte un cinéaste très éloigné de cet univers et même du contexte culturel qui l’a fait naître. A la base donc, il y a ce roman qu’un des acteurs principaux, John C.Reilly, adorait et qu’il voulait à tout prix voir adapté à l’écran par un des réalisateurs français les plus polyvalents du moment. L’idée pouvait sembler singulière mais à bien y réfléchir, le western a déjà été muséifié, parodié, détourné, exécuté sans sommations, exhumé et vaguement ressuscité, ce qui semble indiquer qu’on peut faire à peu près tout ce qu’on veut avec lui. En surface pourtant, ‘Les frères Sisters’ se présente comme un spécimen tout ce qu’il y a de plus classique: les deux chasseurs de primes qui portent, en anglais, ce patronyme si particulier traquent l’inventeur d’un procédé scientifique qui permettrait de faire luire les pépites dans les cours d’eau aurifères. Ces deux bandits sont aussi impitoyables qu’amoraux et pourtant, pour l’un d’entre eux en tout cas, il ne s’agit que d’une façade tant il aspire à une vie plus conventionnelle, au point d’engager des prostituées pour rejouer le lointain souvenir d’une institutrice qui lui confia un jour son étole en cadeau d’adieu. Ensuite, derrière ce progrès scientifique qui suscite toutes les convoitises, il y a l’idée d’une société idéale, d’un phalanstère proto-communiste débarrassé de la notion de propriété, de l’appât du gain et de la violence...même si pour mener à bien cette utopie, il est nécessaire de froidement jouer le jeu du système et de se salir les mains, de vaincre, dominer, détruire, quand bien même les hommes sont de bonne volonté et aspirent à ce rêve universel. Qu’est ce que John C.Reilly a décelé dans ce roman ? En tout cas, ce que Jacques Audiard y a vu, c’est une métaphore de l’Amérique éternelle : au fond, c’est ce que voient les réalisateurs de western depuis toujours mais les années passant, c’est peut-être moins la représentation d’un passé légendaire, du mythe de la Frontière et de ses possibilité infinies qui prévaut que le constat d’une civilisation capable d’offrir ce qu’il y a de meilleur mais qui finit toujours par être rattrapée par les vieux démons de sa logique prédatrice, au point de rendre toute poursuite du bonheur illusoire si ceux qui le cherchent ne tranchent pas les liens qui les relient à elle. Derrière sa légèreté apparente, le film de Jacques Audiard offre un point de vue extrêmement pessimiste sur l’humanité. Entre ses explosions de violence et des touches inattendue d’humour en suspens, une impalpable mélancolie imprègne cette poursuite à travers les terres sauvages de l’Ouest, donnant au terme “crépusculaire” une dimension inédite, et faisant de ces ‘Frères Sisters’ un des relectures du genre les plus singulières et intrigantes de ces dernières années.