Ah ! Un Western ! Le genre est tellement codifié (et surtout déjà tellement fourni) que je suis toujours surpris de constater qu’il puisse encore en sortir aussi souvent de nos jours. Seulement voilà, encore l’an dernier « Brimstone » avait su démontrer qu’il était possible de dire quelque-chose de neuf et de fort avec ce genre pourtant très pétri d’obligations formelles. Alors pourquoi pas ne pas se risquer à ces « Frères Sisters » après tout ? Quand il y a Monsieur Jacques Audiard aux commandes, il me semble que ça impose un détour… Et pour le coup – oui, il faut bien le reconnaitre – quelques minutes de film suffisent pour comprendre que, pour un curieux de cinéma, le déplacement s’imposait. Premier plan. Plan général. Echange de coups de feux soudain en plein milieu de la nuit. Echos. Brutalité. Explosions lumineuses qui fusent à travers le désert. Ah ça ! Pour le coup : oui c’est beau… Et quand on associe à cela tous les éléments de générique très élégamment amenés, on se dit forcément qu’on va avoir affaire là à une démonstration d’esthète. Et ce fut bien le cas… Seulement voilà, ce fut le cas pour le meilleur mais aussi pour le pire. Le meilleur parce que – oui – ce film est vraiment très beau formellement je trouve, du début jusqu’à la fin. Ma petite palme personnelle va pour la photographie que je trouve assez remarquable, notamment pour sa capacité à jouer parfois sur des couleurs parfois assez vives et tranchées sans pour autant perdre un certain équilibre d’ensemble. Cela donne un petit côté fantasmé à cet univers qui, selon moi, colle parfaitement à l'état d'esprit global du film. C'est quelque-chose que l'on retrouve aussi dans la composition des plans. il y a un souci du cadre très régulièrement esthétisant. Certains pourraient trouver ça un brin ostentatoire mais moi j'apprécie cet effort de recherche. Surtout que sur ce domaine là non plus, Michel Audiard n’en fait pas trop à mon sens. La cohérence globale de la forme est toujours ce qui prédomine. Donc vraiment, sur tous ces aspects là, ces « Frères Sisters » m’ont vraiment brossé dans le sens du poil. Mais le problème c’est qu’un film ne peut se réduire à sa seule forme. La forme, c’est ce qui vient donner chair au fond, au propos, à la démarche… Or là, en termes de fond, c’est encore une fois la soupe à la grimace me concernant. Et si je dis « encore » c’est parce que malheureusement, c’est quelque-chose que je vis assez souvent avec les westerns modernes. Trop souvent il s’agit d’exercices de style qui s’amusent à se réapproprier les codes du genre sans les transformer ni les adapter. Cela donne régulièrement des films sans personnalité et sans propos face auxquels je m’ennuie beaucoup. Ça a été par exemple le cas me concernant avec le récent « Hostiles ». Eh bah avec ces « Frères Sisters » j’ai envie de dire : « rebelote ». Rebelote parce que cette histoire de mercenaires à la recherche d’une prime à toucher, j’ai déjà vu ça cent fois. Et ce n’est pas le traitement des personnages qui va y changer quoi que ce soit à ce constat. Une fois encore, l’intrigue se limite à simplement suivre des âmes en peine qui discutent de leurs espoirs et de leurs fêlures, avec la bonne vieille réserve si typique de ces hommes de l’Ouest sauvage. Alors d’accord, il y a parfois quelques moments qu’on peut trouver singulier et face auxquels on peut s’émouvoir (je pense notamment à cette scène entre Eli et la prostituée à Mayfield), mais c’est trop rare et trop fragmenté. Les choses avancent en suivant un fil bien maigre, et le reste du temps, toutes ces considérations bavardes ne se réduisent malheureusement qu'à du cabotinage aussi vain qu'artificiel. Chaque pseudo-péripétie peine à animer ce tout bien flasque, démontrant même la plupart du temps que le film n'a rien de spécifique à dire. Tout cela finit d’ailleurs un peu en eau de boudin par rapport au déroulement de l’ensemble.
Un peu sorti de nulle part, on nous balance un discours sur le fait que l’Ouest naturel c’est chouette parce que ça incarne mieux la liberté que les grandes villes (…et en quoi les deux heures qui précèdent illustrent ce contraste ? Pour le coup : mystère.) Pire, il y a cette conclusion où finalement les deux frères décident de retourner chez maman. C’est certes assez beau et touchant, mais encore une fois il y a peu de choses dans l’intrigue d’ensemble qui permettent de vraiment donner du relief à cette conclusion. Ça tombe un peu comme ça, comme si Audiard nous sortait ça de sa chaussette à morales conclusives. « Bon bah, pour ce coup-ci ce sera "il nous a fallu voyager pour revenir au point de départ, mais différents." Adjugé vendu. » Le hic c’est que pour le coup c’est assez contradictoire avec l’autre message du film qui consistait à dire que le voyage c’était justement la liberté. Alors après, OK, ce film suivait le parcours de deux binômes, donc on peut très bien avoir deux conclusions différentes et contradictoires. Après tout pourquoi pas. Sauf que bon, pour comprendre où voulait vraiment en venir le film, ça devient tout de suite beaucoup plus compliqué.
Mais d’un autre côté je me dis que toutes ces considérations de propos sont au fond bien secondaires, car pour le coup il apparaît assez manifeste que, dans ces « Frères Sisters », la finalité du film n’était pas dans le propos. D’ailleurs, en fin de compte, de ce titre ambigu et aguicheur, ce film n’en fait rien. Pour moi c’est tout un symbole au fond. Je pense que depuis le départ, Jacques Audiard voulait faire avec ce film ce que des John Hillcoat et autres Scott Cooper ont déjà fait dans le même genre : un pur exercice de style sans véritable propos ni fond. Alors soit. Il y en a à qui ça plaira. Moi, pour ma part, même s’il y a quelques très rares bons moments, je trouve quand même que ces « Frères Sisters » font un peu coquille vide. Et c’est bête, mais me concernant, cette impression de coquille vide me fait surtout l’effet d’un film fait à moitié. pas le meilleur moyen de me convaincre… Bon après, ce n’est que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)