Le Western étant mon genre de prédilection, c’est donc avec attentes et curiosité (Western à la française c’est assez unique pour être souligné) que j’allais voir ce « Frères Sisters ». Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’est pas là où je l’attendais. En fait nous sommes plus sur un Audiard que sur un Western. Visuellement et sur la forme en général les codes sont respectés : grands espaces, fusillades, nature, longues chevauchées, etc… et c’est assez réussi. Sur le fond c’est beaucoup plus original, et on retrouve les sujets chers à Audiard : des hommes brisés, en quête de leur identité ou d’une certaine salvation, ou en tout cas d’un nouveau départ, avec un monde qui ne se soucie guère de leurs pérégrinations. C’est psychologique, fin (plusieurs degrés de lecture) et contemplatif.
On contemple les magnifiques étendues hostiles de l’Ouest américain, mais surtout les errements et égarements de l’âme humaine, tantôt cupide, tantôt rêveuse, tantôt torturée, tantôt agitée. Mais que ce soit avec les meilleures ou les pires intentions, toujours il nous met face à la banalité du mal et à cette incapacité à mesurer la conséquence de ses actes jusqu’à ce que ces dernières surviennent, avec des personnages semblant tous perdus (exception faite de Warm) pour diverses raisons. Personnages campés par un quatuor de haute volée et plus particulièrement le duo Phoenix-Reilly, qui campent les frères Sisters que tout oppose et qui pourtant sont unis par ce lien puissant et indéfectible : celui de 2 frères. Chacun regardera ce lien de façon différente mais, Audiard à mon sens met le doigt sur qu’il est réellement, et ça ne rend les 2 frères que plus attachants, bien qu’ils soient aussi largement méprisables. Une ambivalence qui démontre toute la subtilité d’Audiard dans le traitement de ses personnages. Ce lien fraternel, plus qu’affectif, viscéral est d’une grande beauté et constitue la grande force de ce film.
On contemple et on s’interroge sur ces frères, leur lien, mais aussi la nature humaine en général, Audiard traite en filigrane bien des sujets et nous laisse le temps pour nous en emparer. Peut-être même un peu trop. Parfois on trouve le temps un peu long. Car contrairement à un Sergio Leone qui étire le temps pour nous donner une impression de bout de souffle, ou plus récemment d’un Tarantino pour faire monter la pression, Audiard a du mal a géré cette longueur de temps. Il manque à ce Western, ce côté crépusculaire, sale, et surtout ces dialogues caustiques, corrosifs, ce sentiment que même les « bons » n’en valent pas la peine, ce côté d’une humanité et d’une société à bout de souffle et à la dérive, qui ne peut être sauvée qui fait le sel des plus grands chefs d’œuvre du genre, Audiard les effleure mais ne parvient jamais à réellement nous le montrer. Et c’est dommage, le temps n’étant plus un personnage à part entière mais juste une longueur un peu mal maîtrisée. Ajoutez à cela quelques petites facilités dans le scénario et l’on touche du doigt les limites d’Audiard dans cet exercice.
Mais qu’importe, ce « Frères Sisters » sait se faire apprécier, et à plus forte raisons quelques jours après son visionnage, une fois qu’il a maturé dans notre tête. Audiard parvient à trouver son propre style en matière de Western, sans chercher à copier absolument les références du genre, ce qui est assez rare pour être souligné. Il donne aussi à voir ce lien fraternel dans sa définition la plus épurée (et peut-être la plus véridique à mon sens), ce qui est également assez rare pour être souligné. Avec finesse et beaucoup d’ambivalence Audiard nous transporte dans un comte fraternel qui vaut le détour.