Je n'ai jamais lu un seul livre de Dickens (oh!) et vu seulement un seul film de David Lean pour le moment (si!), donc j'estime mon approche de ce film libre et pas trop engluée par une expérience passée cinématographique et bibliophilique fournissant trop de points de comparaisons et faisant obstacle à un jugement épuré de tout préjugé. Ce qui ne m'empêche pas du tout de me rendre compte à quel point Oliver Twist est un chef d'œuvre, loin de là ! Ce film est un condensé de pur cinéma. De la magie du cinéma donnant vie à une œuvre classique et belle, un œuvre qui parle d'un enfant et qui s'adresse aux adultes. Le placement au centre d'Oliver va en fait rendre le message plus touchant, soulever plus d'indignation et nous titiller plus au niveau émotionnel. Ceci d'autant plus que le garçon n'est pas le héros du film, il en est le personnage principal, qui subit la pourriture de la société et de la mesquinerie sournoise des adultes, et qui a tout d'un enfant pur, bon, naïf, innocent. Il incarne l'homme sans faux-semblants, sans fausses idées reçues et sans réactions spontanées envers les gens à causes de ses à priori. Dès le début, de nombreuses scènes, diablement ironiques, mettent en avant la souillure de l'entourage d'Oliver. La paroisse dans laquelle il passe ses premières années d'enfance qui agit avec une injustice profonde en les faisant travailler dur, en les nourrissant à peine puis en se gavant de victuailles sous leurs yeux affamés (cette scène est particulièrement piquante), puis chez Sowerberry où l'injustice est cette fois due à la jalousie du fils du vendeur de cercueil, puis enfin dans le cercle de voleurs à Londres. Dans chacun des cas, il y a toujours dans ceux qui commettent l'injustice une part égale entre les circonstances qui les poussent à agir et leur nature profonde. Ils sont tous vicieux et méchants à leur manière, et l'arrivée d'Oliver chez Mr Brownlow est un vrai rayon de lumière dans cette société pourrie jusqu'à la moelle. Ce havre de paix est un bref instant de répit qui ne dure guère, et bientôt les travers et les embûches du destin, qui nous semblent inévitables lorsque Mr Brownlow envoie Oliver ramener les livres seul dans les rues de Londres mais qui nous agitent intérieurement quand même (on se mord les lèvres...on sent que l'instant fatal approche, le retour à l'infamie et à la misère...et à ce moment la joie et le bonheur semble avoir duré si peu), vont se lancer l'aventure. Commence alors la deuxième partie du film, où la tension monte d'un cran, où la violence apparaît plus brutalement, et où les exposés et tableaux de l'envers de Londres se font plus répugnants et plus nombreux (la scène du café, la rencontre entre Monks et Bumble...). Londres servie par une photographie magnifique, une mise en scène grandiose et des plans artistiquement ultra soignés (celui du pont entre la première planque de Fagin et le reste de la ville brille de génie, plan qui compte en outre parmi les plus importants du film car il symbolise une sorte de coupure entre le monde et le repère de l'Ombre, une sorte d'échelon vers le bas, hiérarchisant le monde mauvais à divers degrés de malveillance et de vilenie). En effet, d'un point de vue purement technique, Oliver Twist est très réussi, constituant une élaboration de savoir faire et de maîtrise en terme de mise en scène dans la veine d'un Lawrence d'Arabie et d'un Docteur Jivago, du grand cinéma digne d'un grand réalisateur tel que David Lean. Le final du film déchaîne une montée épique phénoménale, qui m'a presque amené à me poser des questions sur la mort ou non d'Oliver (on commence sérieusement à douter quand on est pris par la puissance du moment, d'autant plus que j'avais lu que le film appartenait au genre « comédie dramatique »). La part des acteurs dans cette réussite au niveau de l'impact émotionnel est très importante : Alec Guiness est terrible (il habite littéralement son personnage), Robert Newton incarne son personnage avec une force inouïe, John Howard Davies est très touchant, et enfin Kay Walsh nous montre que dans son rôle de Nancy c'est elle la vrai héroïne du film qui décide de s'affranchir, de prendre tout les risques et de se battre seule contre tous pour sortir de sa condition. La partition d'Arnold Bax accompagne très bien le film, achevant d'en faire un vrai classique dans les règles de l'art. Dickens adapté par David Lean, autrement dit un grand de la littérature visité par un grand du cinéma, voilà ce qui a produit une telle œuvre inaltérable.