Entre le documentaire et la fiction, Ultimo Tango décrit l’aventure tumultueuse du plus grand couple de danseurs de tango, María Nieves et Juan Carlos Copes. Il retrace la façon dont Juan a emporté le couple vers le succès et la reconnaissance de leur danse des États-Unis jusqu’au Japon.
On est bouleversé par ce film qui n’est pas seulement un long métrage sur la danse, mais surtout une leçon de vie. María Nieves se confie à la caméra, dans ses marches à travers Buenos Aires, se remémorant ses débuts dans le tango et surtout cette rencontre décisive avec Juan Carlos Copes. Elle se rappelle le jeune homme maladroit, surnommé un « chariot », c’est-à-dire un mauvais danseur, aperçu un soir, retrouvé un an plus tard. La rencontre est fusionnelle, mêlant l’art à l’amour, la perfection aux sentiments. María, très présente tout au long du film, rend à la danse son sens oublié : danser était le plaisir des pauvres. Petite elle n’avait pas de quoi jouer, alors elle dansait avec un ballet ; dès le début, le tango se vit comme un besoin absolu, il devient tout quand on n’a rien.
Juan incarne ce tout : il a la danse, mais aussi l’esprit, il se fait une idée précise du tango, qu’il veut porter à travers le monde, ce qu’il fera avec elle. La femme, la danseuse María Nieves, révèle alors tous ses visages au gré de leurs danses. Trompée, humiliée lorsqu’elle découvre que Juan a eu un enfant d’une autre femme, elle évoque tous les tabous d’une société : le jugement négatif porté sur une femme aujourd’hui vieille qui n’a pas eu le temps d’avoir d’enfants dans sa carrière, l’intériorisation par les femmes de la domination masculine et du machisme. Après s’être considérée comme toujours inférieure à Juan, María étonne les jeunes danseuses qu’elle rencontre lorsqu’elle leur apprend que nul homme ne mérite les larmes d’une femme. On se laisse alors prendre par le rythme des séquences très habilement filmées et montées : le couple est incarné par des acteurs qui correspondent à ses différents âges. Le réalisateur a choisi de montrer ces séquences d’époque en exhibant leur aspect ʻʻremontéʼʼ : on voit les danseurs en tenue de répétition, on apprécie de les observer dans leur travail. Le réalisme souvent mauvais qui accompagne les costumes et musiques d’époque est ainsi évité.
Ce film est un hymne à la vie et à la danse. María, femme blessée, a tiré de la danse une force et une joie éblouissantes. À quatre-vingts ans, elle continue de danser. On découvre dans ce besoin un véritable remède aux douleurs de la vie : danser apprend à donner et pardonner, c’est-à-dire à donner par-delà ses limites, à par-donner ; à atteindre ce don de soi qui permet d’accepter et de surmonter tout, avec humanité. Après leur séparation artistique, María découvre qu’elle peut être elle-même sans plus dépendre de l’ombre d’un homme. Elle ne regrette rien, tandis que Juan confie aux danseurs qu’il mourra avec le tango. C’est une façon d’être, entier, qui se révèle à travers ce superbe portrait croisé d’artistes. C’est aussi une époque de l’art qui est mise en lumière : tandis que les jeunes danseurs cherchent à être virtuoses, María rappelle qu’à leur début, Juan et elle dansaient avec simplicité, loin de la performance, dans la poursuite de leur passion et des mille couleurs sentimentales qui animaient leur danse.
On est profondément ému par ces êtres rayonnants pour qui la vie est digne et généreuse jusqu’au bout.