J’ignore si "Le nom de la rose" est une adaptation fidèle du roman éponyme d'Umberto Eco, mais à mon humble avis nous avons sans doute là le film le plus abouti et le plus magistral de la filmographie de Jean-Jacques Annaud. Doté d’une intelligence rare, le scénario raconte l'enquête d'un moine franciscain sur des crimes obscurs dans une abbaye bénédictine du XIVe siècle, et cela de façon très passionnante. Avec le règne inquiétant de la grande Inquisition en toile de fonds, et entre les divergences des ordres religieux bénédictins et franciscains
(argumenté d’un débat limite houleux et néanmoins respectueux)
, nous assistons à un thriller médiévo-religieux qui n’a rien à envier à une excellente intrigue policière au sens propre du mot. On peut considérer que le budget de 19 millions de dollars a été bien utilisé, tant la reconstitution est impressionnante de réalisme. Pour ce faire, le chef décorateur, muni de son imagination, s’est permis de construire de toutes pièces l’austère abbaye dans les Abruzzes, non loin de Rome, en s’inspirant toutefois d’un château italien du XIIIème siècle (Castel Del Monte, à 70kms à l’ouest de Bari). Quant aux intérieurs, ils sont été tournés dans un ancien monastère cistercien situé à proximité d’Eltville, en Allemagne. Des lieux mystiques idéaux pour implanter efficacement l’adaptation du roman, tout en leur apportant une atmosphère glaciale et mystérieuse, pour ne pas dire lugubre et pesante. Dans un cadre aussi envoûtant qu’inquiétant, aussi superbe que lugubre, aussi pieux qu'intrigant, il fallait une distribution sans faille. Et comme les moines sont en général des personnages qui ne sont pas sous le feu des projecteurs, le réalisateur ne souhaitait pas d’acteur de renom dans son film. Mais c’était sans compter sur l’abnégation de Sean Connery, ce dernier étant plus que jamais motivé pour interpréter Frère Guillaume De Baskerville. La qualité d’interprétation du comédien lors de son audition fut telle qu'elle suffit à convaincre Jean-Jacques Annaud, au grand dam de l’écrivain et des distributeurs. Eh bien j’ignore ce que ça aurait donné sans l’acteur britannique, mais il faut reconnaître que Sean Connery est éblouissant de charisme, empli de convictions nécessaires au rang de son personnage. Flanqué de son moinillon à qui il doit tout enseigner, il forme un bon duo avec Christian Slater alors tout jeune et déjà talentueux tant il parvient à faire ressortir toutes les incertitudes qui le rongent, en posant les questions à la place du spectateur
, aiguillant sans le vouloir son maître dans ses raisonnements aussi labyrinthiques que la bibliothèque
. Bon d’accord, tous les acteurs sont parfaits, mais je me dois d’insister sur LA performance de Ron Perlman qui, dans ce vrai rôle de composition, touche du doigt l’excellence de l’interprétation dans la peau du "stupido" Salvatore pas si stupide que ça. A lui tout seul, il représente une vraie hérésie, et en même temps pas du tout. Je ne vais pas citer tous les interprètes car ils sont tous très bons, mais je me permets de préciser qu'ils contribuent tous à la grande qualité de ce thriller complexe et ô combien passionnant. Passionnant, mais qui fait frissonner tant les crimes paraissent machiavéliques (pour ne pas dire démoniaques), tant la religion semble plongée dans un profond obscurantisme, tant les maquillages burinent certains visages de non-dits et de mensonges. Il faut bien évidemment parler aussi de James Horner, un des compositeurs les plus en vue d’Hollywood : il signe ici une partition qui colle parfaitement au film, faisant de la bande originale un atout du film, sans lequel "Le nom de la rose" ne serait pas "Le nom de la rose". Les tonalités carillonnantes lors de l’approche finale de l’abbaye de Guillaume et Adso à dos de leur monture et la narration en voix off genre voix d’outre-tombe captent d’entrée toute l’attention du spectateur. Cette dernière sera gardée en captivité dans les murs de cette abbaye jusqu’au générique de fin. Au-delà du logique César du meilleur film étranger 1987, c’est un véritable voyage dans le temps que nous propose "Le nom de la rose".