Une oeuvre titanesque, époustouflante sur le plan cinématographique, mais idéologiquement confuse et ambiguë.
D'un point de vue formel, la réussite est immense. Architecte de formation, Fritz Lang a développé un imaginaire urbain visionnaire, s'inspirant de ses souvenirs new-yorkais, lorsqu'il contempla pour la première fois les gratte-ciel de Manhattan, en 1924. Le réalisateur a été bien aidé dans la réalisation des décors par Otto Hunte, l'un des architectes de cinéma les plus importants des années 1920-1930. Cette esthétique urbaine aura une influence considérable sur la SF au cinéma. Il suffit de revoir Blade Runner pour s'en persuader. Par ailleurs, les effets spéciaux (animation, surimpression...) révèlent une grande inventivité, sous la houlette d'Eugène Schüfftan. Quant à la mise en scène, elle est grandiose, exploitant parfaitement des décors démesurés et gérant des milliers de figurants. Le montage, rythmé, et la partition musicale d'origine, enlevée, contribuent aussi à la puissance narrative du film, à son souffle épique.
Sur le fond, en revanche, on reste un peu perplexe. Le scénario est un pot pourri de thématiques politiques, sociales, mystiques, dont on peine à déterminer la ligne directrice. La critique d'un État despotique ne s'affranchit pas vraiment de l'idéalisation d'une certaine élite pure (aryenne ?), à travers le personnage de Freder, tout auréolé d'une dimension messianique. Il y a également une critique du capitalisme et de l'industrialisation à outrance, une mise en images de l'aliénation du peuple par le travail, par la machine (dévoreuse d'hommes), qui débouche sur une lutte des classes et une révolution (au son d'une Marseillaise revisitée !). Mais la foule, qui se libère de ses chaînes, est aussi présentée comme une masse bête et manipulable. Et prompte à pardonner... On n'est pas chez Eisenstein. La scène finale, empreinte d'un idéalisme douteux, montre la réconciliation entre le tyran et le peuple exploité, appuyée par une phrase leitmotiv : "Le coeur doit être le médiateur entre le cerveau et la main." Cette fin, très conservatrice, a été reniée par Fritz Lang quelque temps plus tard.
Côté religieux, Metropolis fait référence au christianisme primitif, évoque le mythe de Babel, parle de l'Apocalypse pour détruire un monde décadent, et finit par présenter la foi comme le ciment social.
Côté SF, on croise un savant hirsute et démiurge, cousin de Frankenstein, qui donne vie à une créature, femme pantin au service de mauvaises intentions.
Derrière ce mélange hétéroclite, il y a quelques éléments qui font écho à la montée du nationalisme en Allemagne et préfigurent même le nazisme. Les images des ouvriers marchant au pas, en rang, enchaînés, font froid dans le dos, annonçant les futurs camps de concentration...
À sa sortie, en janvier 1927, Metropolis fut un échec, malgré les moyens déployés et l'association des talents. Le public n'a pas été sensible à cette politique-fiction futuriste ; la presse a critiqué la vision sociale véhiculée par le film, avec sa résolution naïve des antagonismes. S'affirmant comme le premier vrai long-métrage de science-fiction de l'histoire du cinéma, Metropolis n'a pas non plus convaincu les spécialistes du genre. H. G. Wells, notamment, n'y voyait qu'un tissu de sottises, clichés et platitudes. Luis Buñuel, quant à lui, trouvait le récit ampoulé et irritant, mais admirait la forme : "Quelle enthousiasmante symphonie du mouvement ! Comme chantent les machines au milieu d'admirables transparences, arc-de-triomphées par les décharges électriques ! Toutes les cristalleries du monde, décomposées romantiquement en reflets, sont arrivées à se nicher dans les canons modernes à l'écran. Les plus vifs scintillements des aciers, la succession rythmée de roues, de pistons, de formes mécaniques jamais créées, voilà une ode admirable, une poésie toute nouvelle pour nos yeux. La Physique et la Chimie se transforment par miracle en Rythmique. Pas le moindre moment statique !"
En Allemagne, la reconnaissance viendra au début des années 1930, Hitler et Goebbels appréciant beaucoup ce film et proposant à Fritz Lang de prendre les rênes du cinéma germanique. Ce qui poussera le réalisateur à l'exil, au contraire de sa femme, Thea von Harbou, qui suivra la voie nazie. Écrivain et scénariste, Thea von Harbou est l'auteur du roman Metropolis qui a donné naissance au film. Enfin, à l'international, la reconnaissance cinématographique interviendra après la Seconde Guerre mondiale.