Si « Metropolis » n’est pas le premier film de science-fiction au cinéma, il est celui qui marqua durablement les générations de cinéastes qui s’investirent dans le genre. Aujourd’hui, le nombre de liens de parenté avec « Metropolis » semble illimité. Pourtant, ce film sujet à polémique fut un désastre commercial et faillit provoquer la faillite du plus grand studio allemand de l’époque. Œuvre phare de l’expressionnisme allemand, « Metropolis » est sorti en 1927, l’année charnière qui a vu se côtoyer le premier film parlant de l’histoire et la quintessence du langage cinématographique muet issu de divers horizons avec des films comme « l’Aurore », « Napoléon », « Le mécano de la générale, « Octobre » …
Renommé pour le gigantisme de ses décors, la précision de ses maquettes et pour l’utilisation inédite de certains effets spéciaux, le film de Fritz Lang a aussi pour thématique la lutte des classes. Mais au lieu de prendre ouvertement parti et de faire de son film un manifeste, Lang s’écarte de la dimension politique pour nous livrer un véritable pamphlet humaniste.
Au premier plan, nous assistons à un fondu de la ville avec la machine. Metropolis, la ville, est le parachèvement de l’ère industrielle dans la mesure où ces deux éléments ne forment plus qu’un seul et même corps. De rouages enclenchés à une cadence infernale il sera question durant tout le film. Mais où est la place des hommes au sein de cette mécanique ? Au plan suivant, nous les voyons défiler comme des automates qui se croisent sans lever la tête à l’heure de la relève. Par le regroupement et le mimétisme de leurs mouvements, ces hommes ne semblent former qu’une seule et même entité, une seule masse. Tous sont rangés sous la bannière de la condition ouvrière. Comme dans « Germinal » de Zola, la ville machine est personnifiée en un monstre qui engloutit les ouvriers jusqu’au plus profond de ses entrailles. Cela est suggéré au propre avec un ascenseur comme au figuré avec la métamorphose de la machine centrale en Moloch, divinité païenne qui avale les ouvriers par poignées. Tel un orgue maléfique, cette machine centrale chauffe, les hommes ne peuvent la contenir à l’aide de leurs seuls membres, et l’accident ne compte pas ses victimes. Nous sommes à l’ère de la vapeur et du travail chronométré.
Au sein de la ville riche sur les toits de Metropolis, c’est l’inverse, nous constatons une somme d’individualités. Le désordre de la course sportive contredit l’uniformisation de la foule des ouvriers ou de celle de leurs enfants simplement vêtus de haillons. Les privilégiés de Metropolis, ces dieux du stade, cultivent aussi bien leur corps que leur esprit en flânant entre deux conversations au sein de somptueux jardins. Au sommet, Metropolis est gouvernée par Joh Fredersen, un maître insensible qui dispose de toutes les technologies de pointe en matière de communication et de surveillance. C’est-à-dire, une multitude de boutons qui lui servent d’interfaces avec le monde qu’il dirige. Que sa ville brille de mille feux est le credo de Joh Fredersen. En dehors de cet aspect, il n’a que mépris pour les hommes, il se soucie plus des dégâts mécaniques que des pertes humaines survenues lors des fréquents accidents, et il n’hésite pas à licencier ses contremaîtres. Ne pouvant pas contrôler son propre fils à l’aide d’un bouton, il charge un espion de le surveiller.
Mais au cœur des catacombes de la cité, un contre-pouvoir est amorcé : la religion chrétienne prônant l’égalité entre tous les hommes est enseignée par Maria. Lors d’une scène précédente, cette sainte prêtresse a su convertir Freder, le fils de Joh Fredersen, et lui faire prendre conscience de la misère quotidienne des petites mains de la cité. En échangeant sa place avec un ouvrier, Freder assimile que l’impossible est demandé aux hommes. La lutte de classes est fréquente au cinéma, mais rarement, elle n’aura connu une telle puissance évocatrice. Lors d’un prêche, Maria, assimile le gigantisme de Metropolis à la tour de Babel. Au cours d’une séquence, la science-fiction s’éclipse pour laisser place au péplum. Le mythique côtoie le contemporain. « Metropolis » puise dans les luttes ancestrales pour donner corps aux dérives modernes. Ces références évoquent l’ordre cyclique du monde, car si le cadre change, les luttes restent foncièrement des mêmes. Au centre de cette histoire, Freder sera le médiateur entre les deux mondes, entre le cerveau et les mains de la métropole tentaculaire.
Cependant, une ombre est jetée sur la société secrète. Il s’agit de la figure récurrente chez Fritz Lang, celle du diabolique. La même figure que l’on retrouve dans le « Docteur Mabuse « . Cet ingénieur-savant-fou souhaite voir triompher la machine sur le règne de l’homme. Pour cela, il a crée un double mécanique et maléfique de Maria. En fin de compte, ce qui se joue entre toutes les forces en présence de Metropolis n’est que l’extension d’une tragédie familiale. Désemparés par la perte d’une même femme, Joh Fredersen et le savant-fou ne jurent que par l’avènement de la machine pour combler l’absence de chair, de vitalité dans leur quotidien. Au contraire, c’est par l’amour qu’il éprouve pour Maria que Freder sera amené à considérer les ouvriers avec empathie et servira de relais entre deux sociétés qui s’ignorent.
Dans la seconde partie du film, le Diabolique utilise les traits de Maria pour donner corps à son robot. Tour à tour, Maria est transformée en une sorte de putain de Babylone, une autre figure mythique qui corrompt les riches par ses danses torrides, et en un double maléfique de la prêtresse qui dispense des prêches haineux aux ouvriers. Même lors d’une révolution, les schémas sont reproduits : les privilégiés restent individuels et s’entretuent pour la belle pendant que les opprimés détruisent tout en masse, comme une meute de moutons enragés. Sans le cerveau de la ville, la meute provoque une inondation qui met en péril la vie des familles ouvrières. Pour les opprimés, le prix à payer est toujours élevé, car ce qui provoquera un simple désagrément chez les privilégiés, c’est-à-dire une coupure d’électricité paralysante aura des conséquences destructrices sur les foyers des bas-fonds.
Entre le cerveau et les mains, l’union est primordiale pour que toute société prospère. Cette union, c’est le cœur. Il est personnifié par le personnage de Freder. C’est lui qui guide à la fin la poignée de main entre le maître de la ville et le représentant des ouvriers.
À une époque où le progrès est exclusivement industriel, Lang place l’humain au centre, le cœur humain, le seul médiateur possible entre les classes.