Avant que le nazisme n'impose son idéologie putride dans les années 30 et n'étouffe toute velléité créatrice authentique sous l'accusation d'"art dégénéré" (Entartete Kunst), c'est assurément l'Allemagne et l'Autriche qui étaient à l'avant-garde en matière de création cinématographique. On sait d'ailleurs combien les réalisateurs allemands et autrichiens émigrés aux USA (dont Lang lui-même) furent pour beaucoup dans le triomphe ultérieur d'Hollywood. Il suffit de regarder "Metropolis" pour se convaincre du foisonnement créateur génial dont l'Allemagne des années 20 était le théâtre. Ce film, sans doute le plus ambitieux de toute l'histoire du cinéma muet, est un chef-d'oeuvre absolu. Relevant tout à la fois de la science-fiction, du film fantastique, du conte philosophique, voire du film d'épouvante, on y a vu une prémonition du totalitarisme, notamment du troisième Reich. Et il est vrai que la scénariste du film, Thea von Harbou, alors la compagne de Lang, se mettra par la suite au service du pouvoir nazi, tandis que l'architecte d'Hitler, Albert Speer, y trouvera des sources d'inspiration stylistique. Et il est vrai aussi que c'est le visionnage de ce film qui a convaincu Goebbels de demander à Lang de mettre son art au service de l'idéologie nazie. Lang, juif par sa mère, répondra en fuyant aux USA! Mais le contenu du film n'est pas aussi univoque. Pour preuve, tant l'extrême gauche que l'extrême droite ont prétendu y retrouver leur bébé, ce qui est la meilleure preuve que le film n'est pas récupérable. Reste, au delà des circonstances historiques, un film génial et visionnaire avec des images éblouissantes et inoubliables, à mi-chemin entre l'expressionnisme et le Bauhaus, le tout accompagné d'une remarquable partition de style post-wagnérien, due à Gottfried Huppertz. Dans le genre, "Metropolis" n'a jamais été rejoint; on n'a, en tout cas, jamais fait mieux!