Ah, il nous avait manqué ce bougre de Michael Moore ! Forcément plus silencieux depuis que son meilleur ennemi George W. Bush a pris sa retraite présidentielle et même s'il ne cite jamais explicitement Obama, le bonhomme n'en demeure pas moins toujours révolté des maux profonds qui habitent son pays. En ce sens, il excelle encore autant à dénoncer les absurdités d'un système américain complètement schizophrène (le générique d'ouverture mettant en parallèle les grandes déclarations conquérantes présidentielles et les absurdités d'un pays qui marche sur la tête est un petit chef-d'oeuvre à lui tout seul).
Sur le constat, on ne peut être que d'accord avec lui et sa manière si brillamment sarcastique de nous le transmettre. Sur le reste, on va en discuter...
Convoqué à une réunion secrète imaginaire des plus hautes instances dirigeantes US, Michael Moore se voit confier la mission d'aller envahir des pays étrangers et de leur piquer leurs meilleures idées pour améliorer la vie de la société américaine.
Vous vous souvenez de la séquence en France du brillant "Sicko" sur les dérives du système de santé americain où Moore venait dialoguer avec une famille de classe moyenne (enfin, selon lui) pour vanter les avantages de notre système de manière idyllique (visiblement, la notion de "déficit" lui était complètement inconnue)? Et bien, "Where To Invade Next ?", c'est exactement ça pendant presque deux heures.
Commençons par le premier pays envahi par la bonhomie de Moore : l'Italie.
Se posant en interlocuteur naïf, le cinéaste s'entretient avec une famille à nouveau "middle classe"(là encore, on peut en douter) et s'étonne de la notion même et du nombre de congés payés du couple (rappelons que légalement aucune entreprise US n'est tenue d'en accorder de manière obligatoire). Ne comprenant pas comment le pays peut rester aussi productif avec autant de temps libre laissé aux salariés, il part interroger les dirigeants de Bugatti et d'un sous-traitant de marques de vêtements de luxe qui vantent le bien fou que les congés payés et d'autres avantages font à leurs salariés, augmentant par-là même leur productivité.
Bien sûr le message de Moore comme quoi les salariés américains devraient se battre autant pour leurs droits de travailleurs que les Italiens l'ont historiquement fait est on ne peut plus louable mais cette manière de le narrer avec une telle mauvaise foi dans une Italie rêvée où visiblement l'économie serait florissante ("je viens cueillir les fleurs pas les mauvaises herbes" sera sa simple excuse pour ne pas évoquer les difficultés économiques de nos systèmes européens) et où l'industrie du luxe (épargnée par la crise) serait représentative de toute celle du pays ne fait que discréditer son propos.
Vient ensuite l'exemple français qui nous parle bien évidemment plus. Là, Moore vante l'équilibre diététique de nos cantines d'écoles françaises par rapport aux américaines. Ici encore, le message est juste mais le réalisateur fausse tout seul son discours en cherchant la comparaison entre l'utilisation qui serait idéale de nos impôts par rapport à ceux des contribuales américains. Il n'y est bien sûr jamais fait mention de la faillite connue de l'État français.
Au rang de l'absurdité totale, il y a le passage en Islande où, lors de la crise financière monstrueuse qu'a connu le pays (là, il l'évoque, comme ça l'arrange), une seule banque a réussi à se maintenir à flot, un établissement dirigé par des femmes. L'argument d'une Islande très progressiste (et très tôt) en matière de droits des femmes n'est pas à remettre en cause (et c'est une chose on ne peut plus positive), seulement Moore s'en sert comme d'un drôle de point de départ pour prôner qu'un monde dirigé par les femmes n'aurait que des bienfaits et serait une sacrée bouffée d'air pour n'importe quel système. Rappelons-lui que, dans son propre pays, Hillary Clinton est le symbole même d'un establishment politique américain usé jusqu'à la corde et aux mains de tous les lobbies. De même, en France, personne n'imaginerait voter pour des idées nauséabondes d'un parti seulement parce que sa représentante est une femme.
Bien sûr, l'égalité paritaire est un combat des plus nobles et totalement justifié mais Moore semble privilégier la supériorité d'un genre sur l'autre (il laisse penser que si "Lehman Brothers" s'était appelé "Lehman Sisters", les choses auraient été différentes) et différencier ainsi le comportement des individus par leur sexe (dans un sens comme dans l'autre) est en soi une vraie aberration.
Mais, ne soyons pas non plus malhonnêtes, "Where To Invade Next ?" contient de nombreux coups de génie qui ont fait la renommée de Moore.
Le passage en Allemagne où des jeunes élèves se voient enseigner pour la première fois les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale afin de ne jamais oublier ce que l'humanité est capable de faire de pire offre un moment d'une intensité incroyable, surtout lorsque le cinéaste le met en parallèle de la société américaine plus que apte à oublier les atrocités sur lesquelles elle s'est construite.
La mise en avant de nos universités gratuites (ici en Slovénie) face aux frais exorbitants de leurs équivalents américains, l'excellence du système scolaire finlandais, le milieu carcéral norvégien qui mise avant tout sur la réhabilitation comparé à la brutalité innommable de celui US (la vidéo de présentation de la prison de haute sécurité norvégienne est juste à mourir de rire) ou encore les avancées des droits de la femme en Tunisie (l'intervenante qui adresse directement un message d'ouverture au peuple américain est d'une justesse poignante) sont autant de bons moments qui font de ce documentaire un film néanmoins nécessaire.
En fait, d'un point de vue américain, le film est d'une absolue nécessité (il mériterait amplement un 4/5) mais, avec notre regard européen, on ne peut passer outre devant la fausse naïveté et les facilités dont Michael Moore abuse. Cela a pour effet de discréditer trop souvent ses discours pourtant pertinents sur une nécessaire remise en cause de la société américaine à travers de superbes idées idéalistes.
Il est indiscutable que le bonhomme est un vrai cinéaste se servant habilement d'artifices humoristiques pour emballer ses propos (le film est réellement très drôle comme l'ensemble de son oeuvre) mais, même si l'on peut partager bon nombre de ses idées sur le papier, il ne faut jamais rester dupe des raccourcis qu'il emprunte pour mieux nous en convaincre.