Humour noir sur fond blanc, c’est comme cela qu’on pourrait sous-titrer « Grand froid ». C’est un conte cynique, une fable bourrée d’humour macabre qui attend les spectateurs du film de Gérard Pautonnier. Il faut qu’ils soient prévenus : pour apprécier « Grand froid », il faut accepter l’humour très noir, il faut faire son deuil du tact et de la retenue devant la Mort, dans « Grand froid », les morts comme les vivants ne sont pas à la fête ! Gérard Pautonnier signe un long-métrage assez court (même pas 90 mn), qui est construit un peu comme une fuite en avant (à vitesse de corbillard) vers le non-sens et qui se termine par des scènes surréalistes, à la limite de la farce morbide. C’est très bien filmé, le montage est soigné, la musique est choisie avec soin et elle sert à amplifier les situations improbables et parfois irréelles du film, elle ne parasite pas les images mais les accompagne avec justesse. Il y a quelques scènes techniquement très réussies, comme toutes les scènes du lac (et surtout le dérapage interminable en forme de spirale !) ou bien la scène du double sauvetage simultané sur le lac et dans la station-service. Les paysages hivernaux sont l’occasion aussi de faire de belles scènes en utilisant le givre, la neige, la buée. C’est peut-être anecdotique de la dire mais les décors sont particulièrement mis en valeur : à une campagne banale et ennuyeuse, le froid mordant ajoute une beauté presque irréelle ! La façon dynamique, et parfois presque ludique de filmer de Gérard Pautonnier ajoute au caractère foncièrement drôle et féroce du film. Oui, « Grand froid » est à la fois drôle et féroce et son casting y est pour beaucoup. Jean-Pierre Bacri est égal à lui-même, moumouté et bouguon, tout en humour « à froid », accompagné par Olivier Gourmet qui n’est pas le premier venu. Il faut les voir, tous les deux, regarder d’un œil gourmand une vieille dame traverser la rue et en guettant le gros camion qui arrive : pas besoin de parler, juste avec le regard ils font passer cet humour cynique si efficace et qui fait tellement de bien ! Arthur Dupont n’est pas en reste, il tient la dragée haute et ces deux grands acteurs qui n’ont plus besoin de faire leur preuve. Et puis il y a les seconds rôles et dans « Grand froid », ils ne sont pas là pour faire de la figuration : Féodor Atkine, Philippe Duquesne mais surtout Sam Karmann sont juste parfaits. Ce dernier, en prêtre connecté, fort peu charitable quand les évènements se compliquent, est très drôle et il s’en faut de peu qu’il ne vole la vedette aux trois têtes d’affiche ! Il faut dire que le scénario leur fait la part belle, aux seconds rôles car le film s’attarde longuement sur le destin des passagers de l’autre voiture, celle qui suit le corbillard et qui va rapidement les perdre : leur voyage vers le cimetière sera pour eux aussi une aventure inoubliable ! Comme je l’ai dit, le film est une sorte de fuite en avant. Il commence de façon assez crédible et classique (une entreprise en difficulté, une occasion qui se présente) pour, dés que le convoi se met en route, devenir de plus en plus surréaliste au fil, des minutes, jusqu’à verser carrément dans l’absurde. Moi, j’aime bien l’humour absurde qui flirte avec le « n’importe quoi », alors ça ne me dérange pas mais cela ne conviendra peut-être pas à tout le monde ! Sans vouloir rien dévoiler des péripéties qui attendent Eddie et Georges sur cette route (qui semble mener vers nulle part), on peut quand même dire que ce qu’ils vont vivre va forger leur destin à tous les deux. Le premier, le plus jeune, n’aime pas ce travail ; foncièrement cela se sent et ce qu’il va vivre va lui permettre d’en prendre pleinement conscience (d’une manière aussi brutale qu’innatendue). Le second aime le travail bien fait et persiste à dire qu’il fait le job qu’il a choisi, et cette détermination à remplir sa mission coute que coute va se traduire de façon là aussi brutale et innatendue. Cette route verglacée sur laquelle roule un corbillard, c’est la route de leur vie : ils se perdent dans un premier temps, puis ils se retrouvent et entre temps, leur destin s’est scéllé. « Grand froid » est un film pétri de mauvais esprit, d’humour très noir, de cynisme et d’absurde, de ce point de vue c’est un petit bijou. Encore une fois, il faut être client sinon le film ne fonctionne pas et si on aime le bon gout, la délicatesse et les rebondissements crédibles, alors il vaut mieux aller voir autre chose. En revanche, si on est client, alors on passe un bon moment, drôle et irrévérencieux, devant « Grand Froid », à l’image d’une affiche du film nous met « à la place du mort », d’un titre gentillement à double sens et d’une scène d’ouverture qui donne le ton.